Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 63.djvu/938

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ces diverses propositions, émises, — nous nous plaisons à le croire, — en vue d’un intérêt général, et non pas seulement en faveur de nos compatriotes de la Réunion, sont dignes d’être discutées, sans être pour cela applicables. C’est ainsi qu’il faut se hâter de repousser l’idée d’envoyer de France, ou du Tonkin à Madagascar, l’armée de dix mille hommes dont il a été parlé dans ces derniers temps. Sa présence à Madagascar nous obligerait, en quelque sorte, à faire la conquête entière de l’île, à nous créer, à une immense distante de la mère patrie, une seconde Algérie. Ce serait, comme l’a dit M. Jules Ferry, commencer avec les Hovas une lutte à mort qu’il est plus sage d’éviter. Et puis, sur quel point du littoral débarquerait-on un corps expéditionnaire pour ne pas l’exposer, dès son arrivée, aux atteintes des fièvres? A Majunga ou à Tamatave? Mais on sait qu’il y a un trajet de 70 lieues à franchir de l’un de ces deux ports à Tananarive, à cette capitale d’un abord très difficile, où quelques esprits ardens, mais peu réfléchis, veulent absolument nous faire aller. On a vu, par le récit de M. Grandidier, quel désert horrible, quel pays sans ressources, inhabitable, il faut traverser pour aller de Majunga à Tananarive. On pourrait, s’il le fallait absolument, jeter deux ou trois compagnies sur cette route, en utilisant les cours d’eau qui l’avoisinent ; mais, de quels approvisionnemens ne devraient-elles pas être suivies? Si l’on voulait tenter une pointe de Tamatave à Tananarive, il faudrait encore douze jours de voyage, et par quels chemins! Pas de voie tracée, mais des sentiers escarpés et terriblement glissans. Nous avons vu qu’aujourd’hui encore un Européen ne peut seul accomplir ce voyage; qu’il lui faut une chaise et des porteurs, un factotum, un « commandeur, » des « marmites » chargées de provisions, une domesticité aussi nombreuse que celle d’un colonel anglais à Calcutta. S’il y a beaucoup de bœufs à Madagascar, les mulets et les chevaux manquent. Tous les transports se font à dos d’homme, comme au Tonkin. Les portefaix seront faciles à trouver, et, sous ce rapport, il n’y a aucune inquiétude à avoir, mais une armée de porteurs à diriger, à nourrir, à défendre, dans un pays accidenté et boisé, ne serait pas une préoccupation de mince importance pour un chef d’expédition. Plus d’une fois, le soldat serait exposé à un jeûne forcé, et s’il est un pays où il soit malsain d’avoir l’estomac vide, c’est bien à Madagascar. Les autres projets paraissent plus pratiques ; occuper tous les ports par lesquels les Hovas font leur trafic et croiser le long des côtes pour maintenir un blocus sévère, sont des mesures d’une exécution facile. Nous ne sommes pas les seuls, il est vrai, qui ayons des relations et des intérêts à Madagascar, mais l’occasion est unique pour agir, et agir sans crainte d’être gêné,