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d’avance que l’accord a dû s’établir par des concessions mutuelles, que les dispositions amicales et conciliantes des deux cabinets rendaient d’ailleurs faciles.

Assurément, quoi qu’en dise une partie de la presse anglaise, la France n’a point eu la pensée de profiter des circonstances pour aggraver les embarras de l’Angleterre. Elle a été en Égypte, elle n’y est plus, du moins aux mêmes titres. Elle a laissé à l’Angleterre les avantages et la responsabilité d’une intervention militaire ; elle n’a certainement pas songé à raviver après coup des conflits de prépondérance au risque de compromettre les relations des deux pays. Elle n’était même pas intéressée à faire des propositions qui auraient pu affaiblir le cabinet libéral de Londres devant l’opinion britannique, — et que ce cabinet d’ailleurs n’eût probablement pas acceptées. La France, en un mot, n’a pu avoir aucune arrière-pensée d’hostilité ou même de jalousie dans cette négociation ; mais si elle a été conciliante, comme elle ne pouvait manquer de l’être, si elle est restée dans son rôle en se bornant à la protection des intérêts nombreux et puissans qu’elle a encore dans la vallée du Nil, il est bien clair que l’Angleterre, de son côté, n’a pas pu et n’a pas dû se refuser à quelques-unes des conditions qu’on lui soumettait. L’Angleterre devait être d’autant plus modérée que ces complications égyptiennes, sur lesquelles on a aujourd’hui à délibérer, sont en partie son œuvre depuis qu’elle est toute-puissante au Caire et à Alexandrie. Qu’a-t-on pu, du reste, demander au cabinet de la reine Victoria qui ne soit d’accord avec la politique qu’il a toujours avouée ? S’il s’agit de fixer d’une manière plus ou moins vague la durée de l’occupation anglaise dans la vallée du Nil, le cabinet de Londres n’a cessé de déclarer qu’il n’entendait pas tenir indéfiniment garnison au Caire ; s’il y a des garanties à accorder pour les intérêts étrangers, européens qui existent en Égypte, qui souffrent d’une crise prolongée, il a toujours reconnu la valeur de ces intérêts, l’autorité de l’Europe. Le cabinet de Londres n’a donc point eu à se désavouer dans sa diplomatie, les concessions raisonnables lui étaient faciles ; il a dû les faire, et c’est ainsi qu’on est arrivé à cet « arrangement » dont a parlé M. Gladstone, sans lequel il n’y aurait pas de conférence.

La question, il est vrai, se complique ici d’une étrange façon. Les ministres de la reine n’ont pas seulement à traiter avec la France, puis avec l’Europe, qui attend patiemment le résultat de ces négociations poursuivies avec tant de discrétion depuis quelques jours, ils ont encore et surtout à traiter avec l’opinion, de plus en plus excitée contre eux. En d’autres termes, la question diplomatique est doublée, pour le moment, d’une question intérieure devenue assez grave. Le fait est que, depuis quelque temps, l’opinion, troublée et excitée par une violente campagne de journaux, se montre singulièrement exigeante et acrimonieuse pour le ministère de M.Gladstone, naguère encore si