Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 64.djvu/115

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du bastiment seigneurial, dit Du Cerceau, il ne tient parfaictement de l’art antique ne moderne, mais des deux meslez ensemble. » Vainement l’art moderne est intervenu, l’art antique est là, permanent et indestructible, avec ses aspérités et ses duretés apparentes. Les architectes et les sculpteurs du connétable ont prodigué aux façades de l’ancienne cour les trésors de leurs élégances pittoresques ; on n’en retrouve pas moins à l’extérieur l’antique forteresse, avec ses bastions et ses tours menaçantes. « Les faces sont belles et riches, » le château-fort ne peut s’humaniser complètement ; il reste sévère et dur d’aspect, redoutable quand même. Tout différent est le petit château, « les faces du bastiment estant, tant dans la court que dehors, suivant l’art moderne, bien conduits et accoutrez. » Ici tout appartient à l’art moderne, Du Cerceau prend soin de le dire. Jean Bullant, qui venait de construire le château d’Écouen, s’était surpassé à Chantilly, et l’auteur des Plus Excellens Bastimens de France regarde son œuvre avec une complaisance particulière. Il n’accorde que deux planches à la demeure seigneuriale des Montmorency, et il en consacre cinq à ces « quelques bastimens ordonnez pour les offices. » Cet amour pour la renaissance française était tout naturel, et nous l’éprouvons aussi. C’est lui qui nous conduira tout à l’heure en présence de quelques-uns des monumens de cette époque, précieusement recueillis dans la chapelle du nouveau château.

Il était, nous l’avons dit, dans les destinées du vieux château de Chantilly d’être transformé d’âge en âge et de garder toujours l’empreinte de son origine. Chaque siècle s’efforçait de le refaire à son image, la physionomie de la construction primitive n’en demeurait pas moins. Les modifications ne pouvaient être que de surface, le fond avait quelque chose d’immuable, contre quoi les fluctuations du goût ne pouvaient rien. Le XVIIe siècle répand sur cette résidence un éclat extraordinaire. À partir de 1660, le grand Condé l’illumine des rayons de sa gloire, et toutes les illustrations de la France s’y donnent rendez-vous. Chantilly est décrit par les historiens, chanté par les poètes, célébré par Mme de Sévigné, immortalisé par Bossuet. Louis XIV et sa cour y restent durant trois jours, et les fêtes qu’on y donne à cette occasion font partie de l’histoire du grand siècle. Le château est de nouveau remanié de fond en comble. On devrait croire à une transformation complète. Il n’en est rien. Les gravures du temps nous donnent plus encore peut-être l’aspect d’une forteresse que ne faisaient les planches dessinées par Du Cerceau. L’architecture officielle des Bourbons, bien moins fantaisiste et primesautière que celle des Valois, efface en partie ce que celle-ci avait ajouté de grâce et de légèreté au vieux monument, qui reparaît avec sa lourdeur et sa massiveté primitives.