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secondaires ; elle se retire et disparaît finalement, du moins à l’ouest, de telle sorte qu’à partir du « cénomanien, » l’Allemagne du Sud, le plateau central, la région des Alpes, jusqu’en Carniole, composent une seule terre. La mer du Nord et celle du bassin de Paris sont alors distinctes de celle du sud de l’Europe ; sans communication directe, ces mers n’offrent ni le même aspect ni les mêmes fossiles, et leur sédimentation diffère autant que les êtres vivans dont elles présentent les vestiges. Au nord-ouest, c’est la craie blanche et le moment des dernières ammonites ; au sud, ce sont des calcaires d’un tout autre faciès et des bancs de rudistes. Nous sommes encore loin de l’Europe moderne et pourtant il existe déjà un continent européen aux plages nettement découpées, courant de l’ouest à l’est, du Devonshire et de la Bretagne aux Carpathes, avec des golfes, des anses, des sinuosités et de nombreuses péninsules. C’est alors que le règne végétal accomplit la principale de ses évolutions. Auparavant inconnus, les arbres feuillus et les plantes à fleurs apparentes s’introduisent partout, se multiplient rapidement, et donnent à la flore renouvelée le caractère d’opulence, de fraîcheur et de variété qu’elle a depuis conservé et qui la distingue de celle des âges antérieurs. Sous le rapport des plantes, l’espace chronologique qui s’étend de l’âge des houilles à la craie moyenne est une sorte de moyen âge obscur, de temps d’indigence et d’infériorité relative. Jamais le règne végétal, malgré l’originalité de ses formes, ne fut plus qu’alors réduit à des élémens restreints et monotones. Mais la Suisse, il faut le dire, a conservé peu de vestiges appartenant à cette période. La mer absente n’a pu lui laisser ses dépouilles, et les eaux douces, par l’effet de circonstances impossibles à préciser, n’ont donné lieu, à ce qu’il paraît, à aucun gisement de plantes ou d’animaux terrestres.

Vers la fin de la craie, l’espace continental s’était donc partout accru, et l’Europe, prise dans son ensemble, était peut-être plus étendue, plus continue qu’elle ne l’est maintenant. Le midi, du cœur de l’Espagne au fond de la Provence, avait de puissantes nappes lacustres alimentées par des fleuves considérables. La mer abandonnait, à la longue, une partie du bassin de Paris et se cantonnait en Belgique dans un étroit périmètre. Les eaux douces jouaient un rôle prépondérant et favorisaient l’essor d’une végétation luxuriante. La nature animée s’était complétée, dans toutes les directions, par les oiseaux, par les mammifères, désormais prédominais sur le sol. Pourtant l’ordonnance géographique qui semblait prévaloir n’avait encore rien de stable ni de définitif. Sans doute des mouvemens violens, précurseurs des changemens qui allaient suivre, agitèrent le sol au commencement de l’ère