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tertiaire. De nouvelles chaînes de montagnes s’établirent ou s’exhaussèrent ; on le devine par la façon dont la mer se trouva distribuée à la suite de ces événemens. En consultant le périmètre, maintenant et à tout jamais inaccessible, occupé alors par elle, on est conduit à croire que ces montagnes n’avaient rien de commun avec l’orographie actuelle. Là où des hauteurs médiocres se rencontrent maintenant, des cimes de premier ordre ont pu se dresser, tandis que les régions alpines et pyrénéennes n’auraient encore offert qu’un sol faiblement accidenté. Bien des particularités donnent à croire, par exemple, que les montagnes de la Provence centrale et septentrionale, telles que le Ventoux et Lure, le Luberon, Sainte-Victoire et la Sainte-Baume, dont l’importance est tout à fait secondaire, représentaient alors un système orographique puissamment accentué. La contrée attenante était elle-même aménagée comme l’est actuellement la Suisse. De grands lacs baignaient le pied des principaux escarpemens : il en était ainsi, par rapport à Lure, du lac de Manosque, qui, d’Apt ou de Grambois à Peyruis, ne mesurait pas moins de 40 kilomètres. Le lac d’Aix était dominé à l’est par le massif de Sainte-Victoire ; ses profondeurs, en partie comblées par des amas détritiques arrachés aux flancs de la montagne, ont gardé jusqu’aux vestiges des plantes qui l’habitaient et qui diffèrent de celles dont la foule se pressait au fond des vallées inférieures. Il a donc existé des générations de montagnes qui se sont succédé, et les plus jeunes sont celles qui atteignent de nos jours la plus haute élévation ; de même que les mers se déplacent et que les fleuves s’amoindrissent, les montagnes s’effondrent et retombent sur elles-mêmes. Les Pyrénées et les Alpes sont certainement postérieures à l’époque que nous venons d’atteindre et qui coïncide avec le début des temps tertiaires.

La mer de l’éocène, premier terme de cette ère divisée en trois parties par les géologues, correspond à un retour offensif de l’océan ; on lui donne le nom de mer « numinulitique. » Elle s’étendait, comme une méditerranée immense, du fond de l’Inde et de la Cochinchine jusqu’au golfe de Gascogne et au Maroc ; de l’Egypte elle remontait, toujours avec les mêmes caractères et le même faciès, jusqu’au-delà de Vienne et des Carpathes, découpant l’Europe centrale et méridionale en une foule d’îles et de péninsules. La mer nummulitique contournait le pâté montagneux de la Provence ; mais elle couvrait les Alpes occidentales non encore soulevées. D’autre part, la même mer occupait au sud toute la Haute-Italie, la Styrie, l’Istrie et la Dalmatie et prolongeait au nord, par l’Autriche, le Haut-Danube, la Bavière et la Suisse, un bras qui laissait le Jura pour aller aboutir en s’atténuant en Savoie et au