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sud-est du lac de Genève. Par son rivage méridional, ce bras longeait la région des Alpes réduite à une bande mince, à une sorte d’isthme étroit et long qui s’élargissait insensiblement à l’est, formant le col d’une vaste péninsule qui comprenait, non-seulement la Carniole, la Basse-Autriche et la Galicie, mais la Hongrie presque entière, la Bosnie, la Thrace, une grande partie de la Grèce, s’étendant jusqu’en Crète et empiétant même sur l’Asie-Mineure. Cette mer était large et profonde ; ses dépôts disloqués, reportés plus tard au sommet des plus hautes montagnes, ont une puissante épaisseur. La nummulite, petite coquille ronde et plate, comparable à une pièce de monnaie, les caractérise ; elle constitue parfois des accumulations surprenantes et on la trouve aussi bien auprès des pyramides qu’au nord des Alpes et en Bavière.

C’est à cette mer que Heer rapporte les poissons et les tortues fossiles des ardoisières de Matt, dans le canton de Glaris. La nature du gisement indique un dépôt de mer profonde qui a dû pourtant s’opérer à une petite distance du rivage, puisqu’on y a découvert aussi deux oiseaux. Plusieurs poissons appartiennent à des genres encore vivans ou peuvent en être rapprochés, tellement ils leur ressemblent. L’un d’eux, l’Anenchelum latum, rappelle le « drapeau » (Lepidotus argyreus) des côtes africaines et méditerranéennes, remarquable par ses couleurs brillantes et dont les évolutions rapides imitent les replis d’une banderole d’argent subitement déployée au fond de l’eau. Outre les combéréidiens et les percoïdes, on a reconnu parmi les poissons de Matt des salmonidés et des harengs, enfin des plectognathes, type actuellement relégué dans les mers tropicales ou tout au plus dans la Méditerranée. Les tortues marines de Matt ressemblent à celles qui fréquentent les mers chaudes et servent à l’alimentation dans les pays voisins de la zone tropicale.

C’est à la partie supérieure des dépôts nummulitiques que se placent les amas connus sous le nom de flysch ou schistes à fucoïdes. Ces schistes tiennent une grande place et pénètrent fort avant sur toute la lisière nord des Alpes. Les minces feuillets du flysch sont tapissés d’innombrables empreintes d’algues, la plupart accumulées comme si elles avaient vécu sur place, et disposées par touffes délicates, indéfiniment subdivisées. On n’a pas rencontré d’autres fossiles qui aident à la détermination de l’âge du flysch ; mais sa liaison avec la formation nummulitique qu’il surmonte confirme l’opinion de ceux qui voient en lui le dernier terme de la série éocène. A nos yeux, il est probable, en dépit de ce qu’on a allégué sur l’origine des fucoïdes comme se rapportant à des vestiges de vers se traînant sur la vase, que le flysch représente le dernier état