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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 64.djvu/429

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— Lee-Loo, est-ce enfin la porte de la pagode que nous sommes venus voir?

Lee-Loo sourit : — « Oui, — c’est la montagne qui est la pagode. La montagne est aux Esprits, la montagne est enchantée. Il faut boire, encore boire, tchountchoun. » Et il remplit encore d’alcool de riz nos petites tasses peintes que porte un domestique jaune.

Il y a deux chemins qui s’ouvrent devant nous après ce portique franchi. L’un descend, l’autre monte ; tous deux disparaissent à des tournans mystérieux dans les roches grises. Tous deux taillés dans le marbre vif, tous deux surplombés, encaissés; — et envahis par les plantes rares et magnifiques ; tous deux nuancés des mêmes tons de grisailles, ayant sur leurs marches les mêmes tapis de pervenches roses.

Lee-Loo, vert et orange, semble hésiter, — et puis il prend, à main droite, le chemin qui descend.

Alors nous entrons dans le pays des enchantemens souterrains,

... En effet, c’est la montagne qui est la pagode. — Tout un peuple d’idoles terribles habite les cavernes ; les entrailles de la montagne sont hantées; des charmes dorment dans les retraites profondes. Toutes les incarnations bouddhistes, — et d’autres plus anciennes dont les bonzes ne savent plus le sens. — Les dieux, de taille humaine, se tiennent debout, tout brillans d’or, les yeux farouches et énormes; ou bien sommeillent accroupis, les yeux à demi clos avec des sourires d’éternité. Il y en a qui sont seuls, — inattendus, surprenans dans quelque angle sombre. D’autres, eu nombreuse compagnie, siègent en rond sous des dais de marbre, dans l’obscurité verte des cavernes ; — inquiétans de physionomie et d’attitude, — ils semblent tenir des conseils. Tous, coiffés de la même cagoule de soie rouge. Les uns l’ont mise tout bas sur leurs yeux pour se cacher et ne montrent que leur sourire ; il faut la soulever pour les voir.

Les dorures, les couleurs chinoises de leurs costumes ont gardé une sorte de fraîcheur encore éclatante ; pourtant ils sont très anciens, la soie de leurs cagoules est mangée aux vers. Ils sont des momies étonnamment conservées.

Les parois de leurs temples sont les roches de marbre restées primitives, festonnées en stalactites, ravinées au hasard par tous les suintemens de la montagne.

Et puis en bas, tout à fait en bas, dans les cavernes d’en dessous, se tiennent d’autres dieux qui n’ont plus de couleur, dont on ne sait plus les noms, qui ont des stalactites dans la barbe et des masques de salpêtre. Ils sont aussi vieux que le monde, ceux-ci; ils vivaient quand notre Occident était encore la forêt vierge et froide du grand-ours et du grand-renne. Autour d’eux, les inscriptions ne sont plus chinoises ; elles ont été tracées de la