Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 64.djvu/436

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cambert. Au mois de mai 1671, l’opéra de Pomone, dont Cambert Avait fait la musique, est joué avec un éclatant succès, et, huit mois durant, fait la fortune de ses auteurs. Mais la division se met entre les associés. Grâce au crédit de Mme de Montespan, Lully obtient le privilège de Perrin, et Cambert désespéré passe en Angleterre, à la cour du roi Charles II, où le chagrin le tue. Par nouvelles lettres patentes, le roi accorde à Lully « permission de tenir académie royale de musique, » et Lully fait construire, rue de Vaugirard, une salle plus vaste que celle de la rue Mazarine. En février 1673, le nouveau théâtre est inauguré par les Fêtes de l’Amour et de Bacchus, dont Lully avait fait la musique et Quinault les paroles, Ajoutons, pour en finir avec ces détails, que Molière étant mort dans le cours de la même année, le roi fit don à Lully de la salle du Palais-Royal. Dès ce moment, l’opéra est définitivement fondé, et deux hommes prennent possession de la scène française.

Nous avons assurément beaucoup à rabattre du jugement des contemporains et d’un siècle de postérité qui en parlant de ces deux hommes, les a appelés, l’un, « l’immortel Quinault, » l’autre, « le grand, » et même « le divin Lully. » Cependant, disons-le d’abord, nous sommes loin de partager l’opinion de nos lettrés et de nos musiciens, qui font aujourd’hui trop bon marché de ces deux maîtres. En effet, si peu qu’on les étudie et qu’on prenne la peine de se reporter à leur temps, on est forcé d’avouer qu’ils furent des novateurs glorieux. Le musicien surtout ne sera jamais trop admiré, lui qui, dans sa courte carrière, a fixé les principes d’un art qui devait dans la suite servir de modèle aux plus grands maîtres : aussi, ne pourra-t-on jamais élever un monument quelconque à notre histoire musicale sans faire rayonner à son frontispice le grand nom de Lully. Mais d’abord parlons du poète.

Nous partagerions à son égard et sans réserve l’admiration de ses contemporains si, comme le dit Voltaire, l’opéra devait être « un spectacle aussi bizarre que magnifique, où l’asservissement à la musique rend nécessaires les fautes les plus ridicules, où il faut chanter des ariettes dans la destruction d’une ville et danser autour d’un tombeau ; où l’on est content pourvu qu’il y ait du spectacle, de belles danses, une belle musique, quelques scènes intéressantes. » Mais si, comme en jugeait l’abbé Arnaud, l’opéra n’est pas seulement « un concert dont la musique est le prétexte, » mais une école où l’on va chercher des émotions d’un ordre élevé ; si l’on veut même que l’action dramatique soit augmentée, renforcée par les sons ; et si, malgré le côté conventionnel des arts du théâtre, il faut admettre que l’opéra peut et doit exprimer sa part de vérité, dans ce cas, l’immortel Quinault ne reste plus qu’on poète habile,