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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 64.djvu/470

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des vertus inutiles, la prééminence du relatif, des vertus échangeables et de la bienfaisance mutuelle. En effet, cette doctrine est celle de l’auteur : elle soutient donc ce petit ouvrage aussi bien que ses plus importans ; mais la tirer de là ! Si l’on est un abstracteur de quintessence assez résolu pour cette besogne, on peut aussi bien en tirer toute la morale des jésuites : la fin justifie les moyens, — encore de quoi rajouter au titre ! — et ce n’est pas à tort que Diderot, comme nous l’avons vu, invoque les noms d’Escobar et de Suarez. Contempler dans ce proverbe l’éthique d’Auguste Comte, c’est au moins regarder la lune dans un seau d’eau : jeu d’innocent ! Quant à prétendre, comme Baudelaire, que ce divertissement est le signe précurseur « du théâtre que rêvait Balzac, » c’est vouloir intéresser un directeur qui a monté la Marâtre, et ce n’est rien davantage ; si quelque pièce de Balzac a du rapport avec les œuvres et les théories de Diderot, c’est, en effet, la Marâtre, drame domestique ; mais de notre « amusement de société » à l’auteur de la Comédie humaine, aucune liaison ne peut s’établir.

De là encore à Beaumarchais le passage est-il plus facile ? Oui, sans doute, si l’on veut remarquer seulement quelque analogie dans le tour du dialogue, si franc et si leste, et dans la manière de donner le coup de raquette ; aussi dans le ton de quelques boutades. Le laquais, à qui Mme de Chépy défend d’aller chez sa femme, s’écrie a parte : « Si l’on nous ôte la douceur de caresser nos femmes, qu’est-ce qui nous consolera de la dureté de nos maîtres ? » Cela sent son Figaro. Mais Hardouin-Figaro ! Passe encore de noter entre les deux cette similitude qu’ils se mêlent volontiers de beaucoup d’intrigues ; mais prenons garde qu’ils ne sont ni de même condition ni de même caractère, et que c’est la condition de Figaro, servie par son caractère, qui fait la portée du personnage. Certaine tirade de « l’officieux, » dans sa scène avec le commis, est bien frondeuse : « Ah ! si l’état n’avait pas fait et ne faisait pas d’autres injustices que celle que je vous propose ! Mais des prostituées, des proxénètes, des chanteuses, des danseuses, des histrions, une foule de lâches, de coquins, d’infâmes, de vicieux de toute espèce épuiseront le trésor, pilleront la cassette… » Veut-on que ce passage suffise pour donner un air de parenté avec Figaro ? J’y consens ; n’allez pas dire pourtant qu’Hardouin et Figaro soient identiques.

N’allez pas surtout insinuer une fausse idée de la pièce en avançant que, depuis Beaumarchais, on n’a point fait de comédie pareille. N’allez pas la traiter de « chef-d’œuvre, » et sans ajouter mot : un retour offensif de M. Scherer vous serait imputable ; au moins dites que c’est le chef-d’œuvre de Diderot, qui l’a fait sans y penser, et que la lecture n’en sera pas ennuyeuse ni la représentation ridicule, comme seraient celles du Fils naturel et du Père de famille. Pourtant cette