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France, la convocation des neuf premières classes doit donner plus de 1,300,000 hommes, et la garde des forteresses doit être principalement confiée aux troupes territoriales. Prenons donc ce chiffre de 45,000 hommes pour base provisoire de nos calculs.

Un corps de 45,000 hommes, en marche sur une seule colonne, n’occuperait pas moins de 36 kilomètres ; le train, les munitions de rechange, les parcs et les bagages formeraient une seconde colonne d’une égale longueur. Il suit de là que ces deux parties d’un corps d’armée doivent prendre des routes différentes ou se succéder à un jour au moins de distance. Une étape de 36 kilomètres est bien au-dessus des forces d’une troupe aussi nombreuse, et la queue de la colonne ne pourrait se mettre en marche que lorsque la tête serait déjà arrivée depuis longtemps. Il en serait encore souvent de même si le corps d’armée n’était que de 30,000 hommes, car une étape de 24 kilomètres serait déjà bien longue[1]. Dans l’un et l’autre cas, les bagages seraient à une journée de distance, de sorte que les officiers ne les verraient jamais ; les malades devraient attendre un jour pour entrer à l’ambulance ; les munitions, la poste, les secours de tout genre seraient aussi rejetés au lendemain, à moins qu’on ne prît un jour de repos pour recevoir les distributions. On est donc conduit à reconnaître qu’il ne faut faire marcher un corps d’armée sur une seule route que dans des circonstances exceptionnelles. On devra toujours chercher à se ménager au moins autant de routes distinctes qu’on aura de divisions d’infanterie. Cela n’est pas toujours possible. On peut rencontrer des obstacles, des ponts coupés, qui empêchent d’utiliser certains chemins. Il y aura souvent aussi des points de passage obligés où le corps d’armée se trouvera concentré, où même plusieurs corps d’armée seront réunis. Il faut se garder de pousser l’accumulation plus loin, car on arriverait à des résultats fantastiques. Une armée d’un million d’hommes avec tous ses convois, en colonne sur une seule route, n’occuperait pas moins de 1,600 kilomètres. C’est la distance qui sépare Paris de la frontière russe ; deux fois celle de Paris à Marseille.

Une armée en marche, alourdie par des parcs, de nombreux

  1. La distance à parcourir par des hommes chargés doit être d’autant moindre que la troupe en marche est plus nombreuse, parce que la poussière, les incidens de tous genres, les à-coups qui résultent des arrêts ou des difficultés de la route pèsent d’autant plus lourdement sur les hommes qu’ils se trouvent plus loin de la tête. Si 30,000 hommes parcourent le même chemin, il est très difficile d’en obtenir une vitesse régulière de 15 à 16 kilomètres par jour. La marche doit alors être reniée avec un soin et une régularité extrêmes. Les résultats diffèrent d’un corps à l’autre d’une manière extraordinaire, suivant la prévoyance et le talent des chefs. Certains généraux de l’armée d’Afrique, le maréchal Bugeaud, le général Perrégaux étaient réputés pour les grandes marches qu’ils savaient faire sans trop fatiguer le soldat.