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convois de vivres, de munitions, des ambulances et des impedimenta de toutes sortes, devrait donc pouvoir disposer d’au moins deux routes par corps d’armée, et il serait souvent bon d’en avoir une troisième pour le train et les bagages. Sans cela on sera exposé à d’étranges difficultés, et on ne parviendra peut-être pas à éviter l’encombrement aux abords des gares de débarquement, où l’accumulation des hommes, des chevaux, des voitures ne peut manquer de défoncer le sol des routes, pour peu que le temps ne soit pas très favorable.

Une fois arrivées aux lieux de concentration, les troupes devront y séjourner au moins jusqu’à ce que le mouvement soit achevé, et les péripéties de la guerre pourront prolonger beaucoup ce séjour pour certaines d’entre elles. Deux méthodes ont été alternativement mises en usage : camper ou se cantonner. Les campemens, qui peuvent s’établir partout, pourvu qu’on ait de l’eau et du bois à proximité, conviennent mieux aux exigences de la guerre, car les villages peuvent très bien ne pas se trouver aux endroits qu’il est nécessaire d’occuper ; mais les cantonnemens procurent toujours plus de repos et de bien-être au soldat. On les a prônés après la dernière guerre comme une découverte moderne, sans se souvenir qu’on y a eu recours de tout temps, lorsque les circonstances l’ont permis. Impraticables dans les pays de montagnes, où il faut se tenir sur les crêtes, et dans les endroits peu habités, où les maisons font défaut, ils sont d’un emploi commode dans les plaines riches et populeuses. Pourra-t-on toujours y recourir, même lorsque des considérations supérieures n’obligeront pas à éloigner les troupes des habitations ? C’est ce que les chiffres vont faire voir.

Le baron de Goltz, acceptant ceux que l’expérience a fait adopter par l’état-major allemand, estime qu’un corps de 30,000 hommes a besoin d’un espace de 400 à 500 kilomètres carrés pour se loger et trouver sur place les ressources les plus indispensables. C’est presque exactement le carré du côté que ce corps occupe en colonne serrée sur une route, sans y comprendre le train, qui viendra se ranger derrière lui en seconde ligne. En se resserrant sur un espace moindre, on s’exposerait à des souffrances et on serait dans de mauvaises conditions hygiéniques. Il est avantageux, d’ailleurs, qu’une troupe occupe la même longueur en bataille et en colonne : cela facilite les manœuvres de déploiement, le passage de l’ordre de route à l’ordre de combat. Si un corps d’armée compte 45,000 hommes, comme cela arrivera au début, il faudra donc tabler sur l’occupation d’un rectangle de 600 kilomètres carrés, ayant en nombres ronds 30 kilomètres de longueur sur 20 de profondeur. La population moyenne de la France étant de 70 habitans par kilomètre carré, ce rectangle devra contenir approximativement 42,000 habitans. Or