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encore fort riches en tannin, en matière colorante, etc. Pourquoi les livrer à la distillation ou en faire de la piquette, alors qu’ils peuvent nous donner encore des vins de bonne qualité en quantité suffisante pour assurer la consommation sur place et faire rentrer dans la circulation commerciale plusieurs millions d’hectolitres de vins des premières cuvées ? Le dégrèvement des sucres nous permettrait de provoquer économiquement cette seconde fermentation ; c’est donc une raison de plus pour nous l’accorder.

On nous a objecté que le dégrèvement étendu jusqu’aux sucres destinés à la fermentation des marcs provoquerait à l’intérieur du territoire une concurrence redoutable pour les propriétaires de vignobles, et qu’il ne tarderait pas à s’établir un peu partout des usines qui feraient métier de renouveler les cuvées jusqu’à l’épuisement complet des marcs. Ces craintes nous paraissent chimériques, d’abord parce que les propriétaires, pouvant faire à bon marché des vins de deuxième cuvée, ne vendront plus leurs marcs, et ensuite, parce que les bénéfices du dégrèvement ne seront accordés qu’à ceux d’entre eux qui auront justifié de l’emploi de leurs sucres. Bien loin de leur nuire, le dégrèvement servira donc leurs intérêts en faisant disparaître les usines qui fonctionnent maintenant grâce à notre législation actuelle. Et puis, les vins de deuxième cuvée, nous l’avons déjà dit, serviront surtout à la consommation intérieur e des exploitations agricoles ; il est peu probable qu’ils entreront en notables quantités dans la circulation commerciale. Mais quand ils se présenteraient sur les marchés, ils n’y pourront jamais entrer < n concurrence avec les vins des premières cuvées, dont il est si facile de les distinguer. Ils prendraient plutôt la place de ces dilutions industrielles fabriquées soit en France, soit à l’étranger, avec des marcs ou avec des raisins secs, et vinées avec des alcools de grains, au grand détriment de la santé publique. Grâce à leur bon marché, ces produits… chimiques font une concurrence sérieuse à nos vins ordinaires sur tout le littoral du sud-est de la France.

Ce commerce se fait au grand jour, sous les yeux des agens du gouvernement, qui ne peuvent s’y opposer. Pourquoi donc hésiter à prendre des mesures de compensation ? Nous comprendrions cette manière d’agir si nos lignes de douane ne laissaient pénétrer que des vins naturels après les avoir sérieusement contrôlés ; mais du moment que les étrangers peuvent nous inonder de vins artificiels du moment qu’ils usent et abusent de cette latitude, n’est-il pas logique de favoriser, de provoquer même chez nous la fabrication de produits analogues ? Cela diminuerait d’autant les charges de nos viticulteurs pendant les longues et pénibles périodes qu’ils doivent encore traverser avant d’avoir achevé la reconstitution de leurs vignobles. Pour atteindre ce résultat, l’état doit-il s’imposer de