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mais son autorité personnelle, son prestige, sont encore très puissans; sa fortune, très grande; sa charité et ses aumônes, considérables.

Pendant que ces messieurs entrent avec lui dans son palais, la seule maison un peu vaste de Kairouan, son frère le général me mène visiter le harem dans un édifice contigu. Je n’en reviens guère charmée. Les femmes n’y sont ni jolies, ni élégantes, ni propres. Les petites cours intérieures sont mal tenues; les chambres, les corridors ont trop de toiles d’araignées; le café n’est pas buvable.

Je retrouve avec plaisir M’rabot causant avec mes compagnons, gracieux, courtois, mais tout à fait désolé, dit-il, que nous n’ayons point accepté son hospitalité. Je regrette maintenant d’avoir surtout redouté de trouver la maison trop « habitée. » Il m’offre sa voiture pour aller, plus tard, visiter les mosquées, et je n’ai garde, cette fois, de refuser ce secours très inattendu.

La matinée est si belle que nous allons encore flâner dans les ruelles et dans les souks, espérant faire quelque trouvaille en étoffes ou en bijoux. Mais non ! tout ce qui avait quelque valeur a déjà été enlevé. On nous montre sans empressement des tapis du Maroc ou des couvertures venant de Djerba ; on ne cherche nulle part à nous tenter. La mauvaise grâce est apparente.

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Ce qui me semble le plus caractéristique produit de Kairouan et l’huile rance dont l’atmosphère est imprégnée, avec laquelle on cuit les pimens ou le cousscouss à chaque coin de rue, qui envahit tout, pénètre tout et dégoûte infiniment.

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Le beau carrosse tout doublé de damas jaune, — seul équipage qui existe dans la contrée, — m’attend devant l’auberge. Le vieux cocher est superbe de dignité, malgré une énorme paire de lunettes, et les chevaux sont très noblement harnachés. Le soleil est devenu si brûlant que je suis heureuse de l’abri de la voiture pour gagner la mosquée de Djema-Sidi-Sahab, ou barbier ami du Prophète, située un peu loin, en dehors de la ville.

Elle est charmante et originale, cette mosquée, sans être toutefois pure de goût, comme celles du Caire ou de Stamboul. La première cour, la grande porte ornée d’arabesques fines et très variées, le vestibule revêtu de belles faïences, puis une longue galerie à arcades, de petites salles sombres, une jolie cour mauresque et enfin la chapelle du tombeau du barbier se suivent à des niveaux différens, séparés par des escaliers, des marches inégales, sans plan apparent, avec une complète irrégularité qui donne les plus originales perspectives. La plupart des pièces, sauf le premier vestibule