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dans une concordance rigoureuse avec les données astronomiques et géographiques du temps[1]. Les dieux de la mythologie, les demi-dieux, les géans, les centaures transformés en démons, jouaient aux enfers un certain rôle, exerçaient, ne fût-ce qu’à titre de bourreaux et de tourmenteurs, une certaine autorité.

Dans cette synthèse grandiose de toutes les croyances passées, fondues dans les idées chrétiennes, devant cet accord complet entre la religion et la science, entre la foi et la philosophie, il était naturel et presque légitime que l’église se crût arrivée, par un secours divin, à la possession de la vérité absolue. Le catholicisme était alors, à la lettre, selon l’expression de Vincent de Lérins : quod semper, quod ubique, quod ab omnibus creditum est, c’est-à-dire la totalité de ce que l’homme peut savoir du vrai. Ce n’est pas tout : grâce à un culte éminemment artistique, les solutions transcendantes de la philosophie, de la métaphysique, avaient pris une forme populaire accessible à tous. Certes, les souffrances étaient grandes ; mais ces souffrances avaient, aux yeux des plus malheureux, une explication, une justification plausibles. C’étaient autant d’expiations, et, pour ceux qui, au dernier moment de leur vie, consentaient à s’amender, de préparations à une existence meilleure, à un progrès continu vers la plus pure lumière, symbole de la vérité. Enfin, par une suprême fortune, un laïque, un des plus grands poètes qui aient jamais vécu, Dante, vient apporter à cette colossale construction de l’esprit humain non-seulement le prestige d’une langue incomparable, d’une harmonie vraiment céleste, mais un témoignage d’une

  1. On sait que l’hypothèse de Ptolémée, c’est-à-dire l’hypothèse de la fixité de la terre, très simple et commode pour la représentation du mouvement des étoiles, ne se prêtait que difficilement à la représentation du mouvement des planètes. Les astronomes n’avaient pu arriver à un résultat relativement acceptable qu’en supposant, autour de la terre immobile sept sphères ou cieux concentriques portant respectivement la lune et les planètes, comme Mercure, Vénus, le Soleil, Mars, Jupiter et Saturne. Un huitième ciel, concentrique à la terre et d’un rayon plus grand que celui de Saturne, s’appelle le premier mobile ; il reçoit directement de la puissance divine un mouvement de rotation qu’il transmet aux autres sphères. Le tout est enveloppé, pour ainsi dire, par un dernier ciel, l’Empyrée, autrement dit l’espace infini, le séjour du feu. Dans la théologie chrétienne, au moyen âge, chacun de ces cieux joue un rôle distinct et reçoit une catégorie particulière de bienheureux. Le ciel de la lune ou de Diane est réservé aux héros de la chasteté ; celui de Mercure attribué à l’activité ; celui de Vénus à l’amour ; celui du soleil à la théologie. Dans le ciel de Mars se trouvent les guerriers pieux ; dans celui de Jupiter les rois justes ; le ciel de Saturne est consacré à la vertu contemplative. Dana l’Empyrée enfin, qui renferme tout cet édifice céleste, sont placés les élus, les anges, les séraphins, les archanges, la vierge Marie, le Christ et enfin Dieu lui-même. Quant à l’Enfer, il se trouve au centre de la terre ; en tombant du ciel, Satan, ou Lucifer, s’est enfoncé dans notre globe et ne s’est arrêté dans sa chute qu’au point où la gravitation cesse d’agir. L’enfer a une ouverture aux antipodes ; c’est par là que Virgile et Dante sortent de l’abîme et arrivent à la montagne du Purgatoire.