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ne peut rappeler pour sa défense qu’il a sauvé au risque de sa vie celle de l’un de ses semblables ; et s’il a attelé un chien de Terre-Neuve à la voiture de son petit enfant, il ne peut rappeler pour sa défense qu’il a été blessé à Waterloo… Mais l’histoire contemple les choses de plus haut. » On peut dire pareillement qu’un mari traduit en justice pour avoir battu sa femme n’est pas admis à répondre que d’autres l’ont fait avant lui, dans sa propre maison et sur le même palier ; comme, si quelque ivrogne vient à passer en police correctionnelle, il s’excuserait vainement de sa crapule sur l’exemple de ceux qui s’y abandonnent comme lui. Mais la justice de l’histoire ne souffre pas seulement ces sortes de compensations ; elle les exige. Et ni les vices eux-mêmes des personnes historiques, ni les grandes mesures d’intolérance et de violence, ni l’état social enfin d’un peuple donné à un moment donné ne peuvent être jugés sans comparaison, et sans comparaison perpétuelle, à l’état social du peuple voisin, aux mesures politiques des gouvernemens contemporains, aux vices enfin de leurs semblables et de leurs égaux. Race raisonneuse et logique à l’excès, c’est pourtant ce que nous ne savons pas faire, et c’est le vice, à nos yeux, de tous les jugemens que l’on porte encore aujourd’hui sur les hommes et les choses de l’ancien régime. Voyons-en plutôt quelques exemples.

A Dieu ne plaise que j’essaie jamais, je ne dis pas de justifier, mais d’excuser seulement la révocation de l’édit de Nantes ! Parmi tant de mesures atroces dont l’histoire est malheureusement remplie, je n’y saurais comparer que les lois contre les émigrés. Et je rougirais presque autant de sembler vouloir atténuer ce que soulève encore de légitime horreur le nom de dragonnades, que si je m’efforçais de diminuer ce qu’en inspire la mémoire des mitraillades de Lyon ou des noyades de Nantes. Tenterai-je peut-être ici, comme il serait si facile, de montrer non-seulement que cet acte fameux fut accueilli par une approbation entière de tout ce qui n’était pas protestant, mais encore qu’une espèce de pression d’opinion, si elle ne l’y forçait pas, du moins y poussa Louis XIV ? Non, pas même cela. Mais ce que je voudrais uniquement, c’est qu’en nous parlant des protestans de France, on nous dit en même temps la situation vraie des catholiques d’Angleterre. Et j’omets ici de nommer ceux d’Irlande. Or, en Angleterre, « tout prêtre convaincu d’avoir célébré la messe encourait l’emprisonnement perpétuel, » et pour que la loi ne demeurât pas lettre morte, une prime de cent livres sterling était le salaire du dénonciateur. En Angleterre, « un catholique n’était pas admis dans les établissemens d’instruction ; un catholique payait doubles impôts ; un catholique ne pouvait pas posséder un cheval qui valut plus de cinq livres ; un catholique ne pouvait accéder ni aux fonctions publiques, civiles ou militaires, ni