Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 66.djvu/146

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’attendre au départ de sa fille, Catherine la croyait au mieux avec son mari et s’en félicitait. Un message de Bellièvre lui ouvrit les yeux : « Madame, écrivait-il, de Paris arriva hier un enseigne de la compagnie du maréchal de Matignon ; il m’a dit que la reine votre fille s’étoit retirée à Agen, non que M. le maréchal estime que ladite dame veuille faire à Agen chose qui doive déplaire à Vos Majestés, mais elle s’y réfugie pour estimer qu’elle n’étoit pas en sûreté à Nérac, sachant la mauvaise volonté de la comtesse de Guiche et le pouvoir qu’elle a sur le roi. » Le seul prétexte mis d’abord en avant pour la retraite de Marguerite à Agen, c’était donc la crainte que lui inspirait la comtesse de Guiche. Au premier moment, Bellièvre le pensait ainsi ; mais à quelques jours de là, mieux renseigné sur ce qui se tramait dans l’ombre, il invita Catherine à prier son gendre, le duc de Lorraine, de détourner les Guises d’assister la reine de Navarre dans une guerre qu’elle entreprendrait contre le gré du roi. Cet avertissement arrivait trop tard. Déjà Marguerite avait fait partir d’Agen le chanoine Choisnin, attaché à sa maison, et elle lui avait confié une lettre de sa main et des instructions secrètes pour le duc de Guise. Ghoisnin remit la lettre, mais il garda les itisiructions, peut-être déjà avec la pensée de s’en servir contre sa maîtresse.

Appuyé par l’Espagne, Henri de Guise, dans les circonstances présentes, ne pouvait trouver un plus redoutable chef de parti à opposer au roi de Navarre. Le terrain était d’ailleurs bien préparé. Durant son preiniur séjour à Agen, Marguerite s’était attaché cette population éminemment catholique. Le bras qu’il lui fallait pour grouper autour d’elle des hommes d’armes, elle l’avait rencontré dans Lignerac, le bailli des montagnes d’Auvergne. Audacieux et entreprenant, Lignerac s’était jeté tête baissée dans une liaison où l’ambition devait jouer le principal rôle, et l’amour n’avoir que la seconde place. Il ne manquait plus qu’un prétexte sérieux pour agir fortement sur la population catholique d’Agen et la pousser à une prise d’armes. Marguerite le trouva dans la bulle d’excommunication lancée par Sixte-Quint contre le roi de Navarre et le prince de Condé. La voilà donc à la tête d’une armée improvisée à la hâte par Lignerac et recrutée en partie dans le Quercy ! La voilà se posant en belligérante vis-à-vis du roi son mari ! Elle ne l’appelle plus que le prince de Béarn et elle prend le titre de Marguerite de France.

Le succès ne répondit pas à ses espérances ; au mois de juillet, elle échoua dans deux tentatives sur Tonneins et Villeneuve-d’Agen. L’argent promis par l’Espagne ne venait pas. C’est en pure perte que le duc de Guise avait supplié Philippe II de secourir la reine en toute diligence, afin, disait-il, « que celle que nous avons établie comme obstacle à son mari ne soit abandonnée