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poursuivirent de leurs pointes les plus acérées. Terrifiée par ce drame sanglant, elle écrivit à M. de Loménie : « J’ai rendu grâce au roi de la justice qui m’a été faite, et je le supplie, pour l’assurance de ma vie, que ces méchantes personnes menacent encore (elle faisoit allusion à la mère et au père de Vermond), qu’il lui plaise de faire exécuter l’arrêt de bannissement. »

Le chagrin qu’elle avait ressenti de la fin de Saint-Julien ne lui fit pas perdre de vue le procès qu’elle soutenait contre le comte d’Auvergne. Dans toutes ses lettres à Henri IV, elle lui représente que cette cause est la sienne et qu’elle n’entend rentrer dans cet héritage que pour en faire don au dauphin. A la fin de mai, le parlement se prononça en sa faveur. M. de Rieux, son chancelier, lui apporta cette bonne nouvelle à la messe des Gélestins. Se levant tout aussitôt, elle alla faire chanter le Te Deum aux Cordeliers.

A l’exemple de Catherine de Médicis, elle se complaisait aux grandes constructions, aux embellissemens des résidences royales. Redevenue maîtresse d’une fortune, elle se hâta d’acheter à La Haye sa maison d’Issy et de la rendre digne d’elle : « Je mène, écrivait-elle au roi, à cette heure une existence semblable à celle de Votre Majesté à voir planter mon parc en cette saison. » Un rimeur peu connu, Bouderoue, a décrit les merveilles de cette résidence. Mais Paris attirait Marguerite ; c’était là qu’elle voulait désormais vivre. En face du Louvre de l’autre côté de la Seine, elle acquit un vaste terrain dont une partie appartenait à l’Université et l’autre aux frères de la Charité. Sur cet emplacement, elle jeta les fondemens de l’hôtel qui portera son nom. Mais voir bâtir son hôtel, surveiller ses architectes ne pouvait longtemps suffire à Marguerite. Vivre sans amant, pour elle, ce n’était pas vivre. « Qu’elle se console, s’était écrié Henri IV, au plus fort de ses regrets pour Saint-Julien, nous lui en trouverons une douzaine qui vaudront mieux que lui. » Mais déjà et d’eux-mêmes, de nombreux prétendans à cette succession étaient sur les rangs. Le poète Maynard y fait allusion dans ces vers qu’il a mis dans la bouche de Marguerite :

En vain tant de muguets cherchent à me reprendre ;
On’ne verra jamais ma liberté se rendre
Sous un second vainqueur.
Comment aux lois d’amour veut-on que je me range,
Si la tombe a mon cœur !

C’était là un de ces sermons que l’on ne tient guère. Dès le mois de mai 1607, le jeune Bajaumont, dressé par Mme Roland et introduit auprès de la reine par Mme d’Anglure, avait pris la succession de Saint-Julien, et peu après Marguerite suppliait le roi de