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faire passer sur la tête de ce nouveau favori une riche abbaye devenue vacante.

La construction de son hôtel fut menée grand train. Au mois de mai 1608, elle y reçut la visite du dauphin. C’est là désormais qu’elle va tenir ses grands jours. L’auteur de ce livre estimé, l’Histoire de la société polie, a oublié de nous parler de ce premier salon ouvert à Paris, qui précéda celui de la marquise de Rambouillet. Sous ce toit hospitalier vinrent se grouper tous ceux qui survivaient encore des hommes de la renaissance. Tous les grands poètes étant morts et Malherbe se tenant à l’écart, Marguerite en était réduite à Garnier, qui, dans une ode à Desportes, a chanté son retour à Paris, à Porchères, à Vauquelin des Yveteaux, à Maynard, devenu son secrétaire et qui plus tard se rappellera cet heureux temps :

L’âge affaiblit mon discours.
Et cette fougue me quitte
Dont je chantois les amours
De la reine Marguerite.

Chaque jour elle réunissait à sa table des savans, des poètes, des moralistes dont Pitard était le plus renommé, leur soumettant des thèses à résoudre, prenant part à leurs discussions avec une supériorité d’intelligence à laquelle l’âge n’avait rien pu enlever de sa grâce et de sa vivacité. Elle avait fait deux parts bien distinctes de sa vie, l’une toute mondaine, l’autre consacrée à des pratiques religieuses, à des visites aux hôpitaux, à l’audition de plusieurs messes. Elle avait bâti à ses frais le couvent des jésuites d’Agen et celui des augustins attenant à son hôtel, et pris pour aumônier saint Vincent de Paul. Mais il ne pouvait décemment vivre sous le même toit queBajaumont ; il échangea cette lucrative aumônerie contre la cure de la pauvre paroisse de Clichy.

La cour de Henri IV, si brillante qu’elle fût, ne pouvait faire oublier les splendeurs de celle des Valois. De Fresnes-Forget, l’habile diplomate, écrivait le 6 février au connétable de Montmorency (Henri de Damville) : « On parle de faire quelques galanteries à ce carême prenant, et l’on se vantoit de carrousels, mais il s’est trouvé que personne de nos courtisans n’en savoit la cadence. Ils sont tous nés dans un siècle de fer. » Aussi Marie de Médicis ayant à recevoir don Pedro de Tolède, venu en ambassade extraordinaire, eut-elle recours à Marguerite, qui avait conservé la tradition des grandes réceptions de Catherine de Médicis. Elle s’y prêta avec beaucoup de bonne grâce. C’est à son esprit inventif que revient tout l’honneur