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du célèbre ballet dont Malherbe rima les récitatifs. Ce ballet devait être donné le 25 janvier, mais, Marguerite s’étant trouvée indisposée ce jour-là, comme elle en était l’âme et la directrice absolue, il fut remis au premier dimanche de février. « On le dansera d’abord à l’arsenal, écrivait Villeroy à La Boderie, notre ambassadeur en Angleterre, et après au palais de la reine Marguerite, car on ne danse plus au Louvre. » Les branles, les gaillardes se prolongèrent jusqu’à une heure avancée de la nuit. Le roi et la reine assistèrent au souper, où s’étala dans toute sa magnificence la vaisselle de Marguerite. Mais si Marguerite avait si bien retenu les grandes leçons de Catherine de Médicis, elle n’avait pas eu le courage de renoncer aux toilettes de sa jeunesse, à ces corsages ouverts qui alors attiraient tous les regards. Elle partageait en cela les faiblesses de la reine Elisabeth d’Angleterre, qui, plus âgée qu’elle, n’en persistait pas moins à faire parade des tristes restes de sa beauté flétrie. L’exemple venu de haut est toujours contagieux : faisant remonter jusqu’à la reine l’abus de ces nudités de gorge, le père Suffren osa dire en pleine chaire, « qu’il n’y avoit pas à Paris de petite coquette, de petite bourgeoise qui, à l’exemple de la reine Marguerite, ne montrât ses tétons. » Mais, s’apercevant qu’il avait été peut-être un peu loin, il se reprit et ajouta, ce qui sembla une aggravation : « que les princesses et les reines avoient certains privilèges et certaines licences que les autres n’avoient pas. » Un jeune carme, plus naïf ou plus courtisan, ayant osé « comparer le sein de la reine à celui de la vierge Marie, » Marguerite, à laquelle on le redit, lui envoya cinquante pistoles.

Décidément elle avait le mauvais œil et portait malheur à ses amans. Attaqué dans le chœur des Augustins par Loué, le fils d’un procureur de Bordeaux, Bajaumont fut obligé de tirer l’épée pour se défendre. De crainte que son nouveau favori n’eût le sort de Saint-Julien, Marguerite, prudemment, fit enfermer l’agresseur au For-l’Évêque. Précaution inutile ! Au mois de mars 1609, Bajaumont tomba gravement malade. S’il s’en tira cette fois, il le dut, disait-on, « plus à la charité de la reine qu’à l’habileté de son médecin. » Elle en prit un tel chagrin que Henri IV vint lui faire une visite de condoléance. En passant dans la pièce où étaient les filles d’honneur de la reine : « Priez pour la convalescence de Bajaumont, leur dit-il en souriant, et je vous donnerai votre foire, car s’il venoit à mourir il me jetteroit dans des dépenses bien plus considérables : la reine prendroit cet hôtel en horreur et je serois obligé de lui en acheter un autre. »