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langue poétique de leurs prédécesseurs, et leurs rimes, en général d’insuffisance ou de pauvreté, les Parnassiens accusaient leurs métaphores d’inexactitude et leurs images d’incohérence. C’était à ce pauvre Boileau que M. Théodore de Banville en faisait cruellement le reproche ; pour être plus moderne, c’est à Musset que M. Catulle Mendès a cru devoir l’adresser. Beaucoup de gens penseront avec nous que, si l’auleur des Nuits l’a peut-être quelquefois mérité, l’auteur de cette Légende des siècles, dont les Parnassiens ont fait en quelque sorte leur Bible, pourrait bien l’avoir mérité plus souvent. Un peintre sachant son métier ne laisserait pas d’avoir quelque peine à représenter sur la toile ces images énormes qui, de bonne heure, — dès le temps des Châtimens ou des Contemplations, — sont devenues familières à Victor Hugo. Je ne veux rien dire de celles que l’on rencontre dans le Soleil de minuit, de M. Catulle Mendès, ou dans la Création des fleurs, de M. Stéphane Mallarmé. Mais il sera plus utile, à ce propos, de faire observer que l’on tranche ici trop lestement une question très délicate. Si l’inexactitude plastique, pour ainsi dire, des métaphores, et si l’incohérence des images, d’une part, sont en effet des vices du style, et des vices assez choquans, il est difficile de ne pas remarquer, d’autre part, que la cohérence absolue des images et l’exactitude entière des métaphores sont une des formes les plus certaines de la préciosité. Lorsque Cathos dit à Mascarille : « De grâce, contentez un peu l’envie que ce fauteuil a de vous embrasser, » elle n’est ridicule que pour poursuivre une métaphore usuelle, puisque l’on dit couramment qu’un fauteuil a des bras. Et de même quand Trissotin, pour contenter « la faim » de Philaminte et d’Armande, joint a au plat» qu’il avait promis « le ragoût » d’un sonnet, qui est de sel attique « assaisonné » partout, et qu’il se flatte enfin que l’on trouvera « d’assez bon goût » il n’amuse et ne fait rire que pour vouloir faire durer la cohérence de l’image au-delà de ce que le bon goût en peut supporter. Vingt autres exemples, que le lecteur n’aura pas de peine à retrouver dans sa mémoire, prouvent à tout le moins qu’il y a là un problème pendant. Si simple qu’il paraisse d’abord, il est au fond si difficile et surtout si complexe, il confine à tant de hautes et curieuses questions de la philosophie du langage en ce qu’elle a de plus mystérieux et de plus abstrus, que je n’en oserais pour le moment proposer aucune solution. Mais je puis toujours dire que de l’existence d’un tel problème il résulte que « l’inexactitude des métaphores » et a l’incohérence des images » ne sont peut-être pas d’aussi grands vices de style que l’on croit.

Sans doute, ce sont là de pures questions de forme, ou de métier même, nous en convenons volontiers et les Parnassiens avec nous. Seulement, dans le siècle où nous sommes, ces questions de métier,