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victoires éventuelles de l’Autriche. Il préférait la guerre qui se présentait à l’Italie dans des conditions exceptionnelles, avec le concours d’une grande puissance militaire et avec une garantie de premier ordre, certain qu’en cas de revers la France ne permettrait pas à l’Autriche de revenir sur les conséquences de la campagne de 1859. Que risquait l’Italie? Victorieuse ou vaincue, Venise ne pouvait plus lui échapper. Tous les risques étaient pour la France, qui s’en rapportait aux événemens, pour savoir au juste si elle aurait lieu de se féliciter du contre-coup de la guerre ou de le regretter[1]. Le général de La Marmora démontra à l’empereur qu’il n’était plus en mesure de rompre l’alliance avec la Prusse et de dénoncer le traité. « L’empereur n’oubliera pas, écrivait-il à son ambassadeur à Paris pour colorer son refus, qu’il nous a conseillé le traité. » Ce refus causa à la cour des Tuileries une pénible impression; c’était le premier symptôme d’émancipation.

Il était évident que les beaux jours de Plombières étaient passés. Arrivée au rang de grande puissance, alliée à la Prusse, l’Italie ne consultait plus que son intérêt, son honneur et sa dignité. Elle pesa cruellement sur nos destinées au lendemain de Sadowa. Elle paralysa notre action et nous fit perdre tous les avantages que l’empereur attendait des événemens qu’il avait laissés s’accomplir si imprudemment.

Dans les pages que j’ai consacrées à la politique française en 1866, j’ai raconté le drame qui se déroula au palais de Saint-Cloud dans les heures de patriotiques angoisses qui suivirent Sadowa. J’ai fait le tableau de l’émoi qui régnait à la cour, des luttes violentes, passionnées, engagées entre l’influence autrichienne et l’influence italienne autour d’un souverain perplexe, déconcerté. L’empereur, malade, accablé, ne savait plus à quoi se reprendre ; il passait d’une résolution à une autre. Il demandait conseil à tout le monde, il interrogeait anxieusement ses généraux, il supputait les ressources militaires dont il pourrait disposer pour sortir avec honneur de l’impasse où il se sentait acculé, et, au bout de ses calculs, il voyait apparaître des catastrophes. Toutes ses prévisions étaient déçues, toutes ses combinaisons s’étaient écroulées. Ce qui l’affectait le plus, c’était l’attitude de l’Italie. Il ne s’expliquait pas que Victor-Emmanuel, toujours si empressé à déférer à ses conseils, persistât avec humeur, malgré ses instances, à poursuivre les hostilités et à le paralyser dans ses démarches. Il avait envoyé le prince Napoléon à Florence, certain qu’il serait écouté, et le prince, qui en toutes circonstances s’était porté garant des sentimens de l’Italie, était revenu déçu, éconduit,

  1. La Politique française en 1866.