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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 66.djvu/510

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puissances sur leur attitude éventuelle. Ils allaient être forcés de négocier sous le coup des événemens, dans les conditions les plus ingrates, devancés par la diplomatie prussienne, qui déjà partout avait donné des gages, obtenu des promesses. M. de Bismarck n’avait pas attendu la déclaration de guerre pour agir. Dès le 17 juillet, il avait imposé la neutralité à la cour de Copenhague en la terrifiant ; il avait indigné, irrité l’Angleterre et scandalisé l’Europe en révélant, par des documens malheureusement irrécusables, nos convoitises sur la Belgique ; il avait mis la Russie dans son jeu : elle était appelée à paralyser l’Autriche. Ses agens secrets s’étaient mis à l’œuvre de tous côtés ; ils excitaient les Hongrois ; ils provoquaient des manifestations antifrançaises en Italie ; ils s’abouchaient à Paris avec les meneurs des faubourgs et préparaient la révolution. Les principaux organes de la publicité européenne étaient à sa dévotion ; ils avaient pour tâche de nous discréditer, de s’attaquer aux hommes et aux gouvernemens qui nous manifesteraient des sympathies.

Qu’espérer dans de pareilles conditions ? Comment compter sur l’Autriche, tenue en échec par la Russie, et sur l’Italie, qui ne pouvait que compromettre ses destinées dans une guerre aussi follement provoquée ?

C’est à l’heure où les armées s’ébranlaient déjà que M. de Gramont demandait, d’un ton dégagé, au cabinet de Florence et au cabinet de Vienne, de reprendre les négociations qui devaient réaliser la triple alliance. Le moment était mal choisi pour invoquer un traité que nous avions refusé de signer, et les vagues promesses d’assistance mutuelle échangées entre les trois souverains. Ni l’Italie ni l’Autriche ne se tenaient pour liées ; elles ne désertaient pas notre cause, leurs sympathies nous restaient acquises ; mais elles n’admettaient pas qu’elles eussent aliéné leur liberté d’action. M. de Beust invoquait ses difficultés intérieures pour ajourner ses résolutions ; il attendait, pour prendre couleur, le résultat des premières rencontres. Son intérêt lui commandait de ne pas se compromettre avec le vainqueur éventuel et de ne pas s’exposer à être exclu des négociations le jour où se régleraient les conditions de la paix. « Il ne faut pas, écrivait-il au prince de Metternich, qu’un accès de mauvaise humeur nous ménage une de ces évolutions subites auxquelles la France nous a habitués. C’est un dangereux écueil qu’il s’agit d’éviter ; faites donc sonner bien haut la valeur de nos engagemens, notre fidélité à les respecter, afin que l’empereur Napoléon ne s’entende pas tout à coup avec la Prusse à nos dépens. »

Tandis que l’Autriche s’appliquait à nous rassurer, à calmer nos impatiences, elle jetait ses regards vers l’Italie, elle consacrait toute