Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 66.djvu/527

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le gouvernement sentait qu’il serait débordé. Sa tâche n’était pas aisée. Les engagemens qu’il avait pris hâtivement au début de la guerre ne cadraient plus avec la situation ; ils étaient en oppositions avec le programme national qu’il avait adopté. M. Visconti n’en protesta pas moins contre la théorie de ses adversaires ; il fit ressortir combien il serait indigne de profiter de la guerre pour susciter des embarras à la France.

Le gouvernement italien, je l’ai dit, n’avait a priori aucune intention de manquer à sa parole. Mais il devenait chaque jour plus évident que les arrangemens qu’il avait pris avec la cour des Tuileries étaient illusoires. Il était décidé à réagir contre les entraînemens de la chambre, à empêcher les incursions des bandes mazziniennes et garibaldiennes. Mais pourrait-il à la longue garder des frontières que le général de La Marmora déclarait « techniquement ingardables » et empêcher les révolutionnaires de passer isolément et de se réunir ensuite en armes sur le territoire romain ? Ce qui était arrivé en 1867 devait forcément se produire en 1870. Mieux eût valu, dans l’intérêt du pape et du nôtre, accéder aux demandes du cabinet de Florence et sacrifier, en temps opportun, ce qui restait du domaine de Saint-Pierre pour sauver Rome et ses environs.

M. de Malaret s’efforçait en vain de galvaniser le gouvernement italien, il s’usait en stériles efforts. Tout le monde l’écoutait avec sympathie, on abondait même dans son sens, mais on disait n’être pas prêt, et tout indiquait que, lorsqu’on le serait, vainqueurs et vaincus n’auraient plus besoin d’alliés.

Notre représentant tenta de s’adresser directement au roi, mais l’audience ne lui fut pas accordée : le ministère s’y était opposé. « Il faudrait que le roi changeât de cabinet, disait M. de Malaret sous le coup de ce refus, mais il ne saurait le faire sans soulever des complications parlementaires qu’il ne se soucie pas de braver : Il paraît, du reste, de plus en plus résigné à marcher du même pas que ses ministres. »

Cependant M. Visconti-Venosta disait qu’il poursuivait de compte à demi avec l’Angleterre une action diplomatique favorable à la France, sauf à prendre ultérieurement au besoin des résolutions plus viriles. C’était pour la première fois qu’on nous parlait d’une action combinée avec l’Angleterre. Une évolution s’était opérée évidemment dans la politique italienne. L’Angleterre prenait tout à coup, dans ses combinaisons, le rôle qu’y jouait l’Autriche. Un homme d’état des plus distingués, M. Minghetti, était en effet à Londres depuis le 20 juillet. Sa mission avait passé inaperçue. On trouvait naturel que, dans une crise aussi périlleuse, l’Italie se retournât un peu de tous les côtés pour s’orienter et fixer sa