Des amis, des ingénieurs russes qui vont inspecter les lignes du Donetz, m’entraînent à leur suite ; ils veulent me montrer les fabriques, les charbonnages, les salines, la « petite Belgique, » sortie depuis dix ans de la steppe du Sud. La steppe ! le pays des Cosaques du Don ! Voilà bien de quoi me tenter, sans qu’on m’y fasse voir des usines, surtout peut-être si l’on ne m’y faisait pas voir des usines. Depuis que je lis les historiens et les poètes russes, je croyais savoir ce qu’il y a dans ces terres vides qui vont vers la mer ; des herbages vierges, des cavaliers errans, de longues lances, des vers sonores de Pouchkine. Je n’associais guère à ce pays l’idée de l’anthracite et des hauts fourneaux. Il paraît que là aussi, on a changé tout cela, que le démon de l’industrie s’est emparé de ces libres solitudes. Allons voir, j’imagine bien qu’on exagère un peu ; si ce qu’on me raconte est exact, s’il est vrai que tout se transforme, ce sera le signe qu’il faut se ployer aux volontés de mon siècle ; alors je m’engage à donner à la Revue un solide article sur la houille. Va donc pour un voyage industriel ! On accroche notre wagon à l’arrière du train, sur la petite ligne Soumî-Kharkof ; nous voici partis pour le Donetz.
Qu’est-ce que le Donetz ? demanderont les personnes peu habituées à manier la carte de Russie. (Carte encombrante, envahissante, fidèle image de l’énorme empire ; celle de l’état-major, bien que