Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 66.djvu/610

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’embouchure du Tibre, pénétrer dans « le lit ombragé du fleuve, » Après s’être un peu avancés le long de ses rives, ils s’arrêtent et débarquent. C’est là que des fouilles récentes ont mis au jour les fondemens de vastes magasins qui empiétaient sur le Tibre et qui contiennent encore les grandes jarres de blé où l’on mettait en réserve la nourriture du peuple romain. Ostie est aujourd’hui à près de 4 kilomètres de la mer ; mais nous savons qu’à l’époque de sa prospérité elle en était tout à fait voisine. Dans l’Octavius de Minucius Félix, le premier ouvrage qu’un chrétien ait écrit en latin, l’auteur et ses amis partent un matin d’Ostie pour s’aller promener sur le rivage : il semble, au récit de Minucius, qu’ils n’aient que quelques pas à faire ; ils arrivent vite au terme de leur course et se trouvent « sur une sorte de tapis de sable que le flot semble avoir étendu sous leurs pas pour en faire une agréable promenade. » Un siècle et demi auparavant, quand Virgile parcourait cette plage, elle devait être à peu près dans le même état, et il a supposé, selon son habitude, qu’elle n’avait pas changé depuis Énée. Il a voulu faire pour Ostie comme pour Rome ; il est revenu volontiers au temps où des cabanes de chaume y tenaient la place des palais de marbre. Il a plu à son imagination, éprise de simplicité, amie des contrastes, de mettre les pauvres abris d’un camp improvisé où il voyait de larges rues bordées de portiques et pleines des marchandises les plus somptueuses, de réunir quelques soldats effrayés dans les lieux mêmes qu’animait de son temps le mouvement et le bruit des affaires. Ce camp d’Énée est une sorte de petite ville que le poète imagine sur le modèle de ces castra stativa où les légions romaines se retranchaient quand elles avaient un séjour un peu long à faire. L’enceinte, suivant un vieil usage, en a été tracée avec la charrue ; on a creusé tout autour un fossé profond, et les terres qu’on en a tirées ont servi à former un retranchement armé de créneaux et de meurtrières. En avant, comme des sentinelles avancées, se dressent des tours de bois qui se relient à la place par des ponts volans qu’on jette ou qu’on retire, selon les besoins de la défense. La ville (c’est le nom que Virgile lui donne) n’est entourée d’un rempart que sur la gauche ; la droite étant adossée au fleuve, le poète suppose qu’elle n’a pas besoin d’être protégée. Cette circonstance lui a fourni le dévoûment d’un de ses plus brillans récits. Il raconte que Turnus, en poursuivant les Troyens fugitifs, est entré avec eux dans leur camp sans qu’ils s’en soient aperçus. Le premier soin des fuyards est de pousser précipitamment leurs portes, et ils enferment ainsi dans l’enceinte celui même qu’ils voulaient éviter. Quand ils ont reconnu cette aigrette rouge qui s’agite sur sa tête et les éclairs que lance