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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 66.djvu/629

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travail. Au moment de la moisson, ils campent en plein champ, mais le reste du temps la campagne est déserte ; on n’y aperçoit ni un homme ni une maison.

Cette misère, que M. Lenormant, dans son ouvrage sur la Grande-Grèce, attribue en grande partie aux abus de la grande propriété (latifundi) semble cependant commencer à peser au paysan sicilien. Depuis que les chemins de fer sillonnent son île, il est sorti de son village et a pu se rendre compte de ce qui se passe ailleurs. Des idées nouvelles ont germé dans son cerveau et fait luire à ses yeux quelques perspectives de bien-être. Aussi des symptômes d’émigration se manifestent-ils dans la population. La Calabre et la Basilicate fournissent déjà un fort contingent au courant qui se dirige vers l’Amérique méridionale ; il est probable que la Sicile suivra leur exemple, dans la mesure où l’exigeront les lois économiques ; c’est-à-dire jusqu’à ce que les salaires se soient élevés assez pour assurer l’existence des familles ouvrières.

Jusqu’ici la classe moyenne fait à peu près défaut, c’est d’elle Cependant que doit dépendre la prospérité de l’île, parce que c’est elle seule qui peut en mettre en œuvre les forces productives et tirer parti des immenses ressources qui s’y rencontrent. C’est de son développement aussi qu’il faut attendre la pacification des esprits. Comme tous les peuples du monde, la Sicile a ses classes dangereuses qui exercent le mieux qu’elles peuvent leur métier de vivre aux dépens d’autrui. À Paris, les voleurs vous attaquent le soir dans les rues désertes et vous détroussent ; en Sicile, ils s’emparent de votre personne et vous rançonnent. C’est tout un. Un honorable magistrat qui a publié récemment une brochure sur cette question[1] distingue plusieurs catégories de malfaiteurs. Les bandits proprement dits habitent la montagne et exercent leurs méfaits par la violence. Pendant les premières années qui suivirent la révolution, le nombre en avait singulièrement augmenté ; et plusieurs de ces bandes, en Sicile comme en Calabre, avaient pris un drapeau politique et se donnaient comme les défenseurs de l’ancien ordre de choses. Bien des bonnes âmes en France s’y sont laissé prendre et faisaient des vœux pour leur triomphe ; mais en fait, la politique était le moindre de leurs soucis, et pour eux, servir la bonne cause consistait à piller également tous les honnêtes gens sans distinction de parti et sans s’inquiéter de leurs opinions.

À côté des bandits de profession, il y a les malandrins et les maffiosi, qui, vivant mêlés à la population, font partie d’une association plus ou moins secrète connue sous le nom de maffia dont le but est, comme la camorra de Naples, de se créer des revenus,

  1. Profili e Totografie per collesione. Palermo, 1878.