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ger la transition entre la marine d’aujourd’hui et celle de l’avenir. Nous allons voir s’ils ont raison, ou plutôt nous allons tâcher de réfuter, par l’exemple des manœuvres de notre escadre et des escadres étrangères, les objections qu’ils opposent à ceux qui prédisent, comme le faisait l’amiral Jurien de La Gravière bien avant les succès de la torpille, l’avènement des « grandes flottilles » succédant aux lourdes et peu nombreuses escadres d’aujourd’hui[1].


II.

Pour montrer combien sont peu fondées les critiques qu’on adresse à la torpille automobile comme arme de guerre, il est nécessaire de faire très succinctement l’historique des transformations qu’elle a subies, et dont les dernières sont tellement récentes qu’on ne doit pas s’étonner qu’elles soient presque inconnues, même dans la marine. C’est vers l’année 1872 que l’idée d’une torpille automobile destinée à porter à bonne profondeur sous les flancs d’un navire une charge explosible, a reçu un commencement d’exécution. On a construit d’abord des torpilles à quilles qui n’avaient que de très faibles charges, qu’une vitesse médiocre, et qui naviguaient fort mal. Elles ne possédaient aucune des qualités nécessaires pour constituer une arme réellement pratique ; néanmoins, le problème était virtuellement résolu. On chercha à perfectionner cette œuvre de premier jet ; dès l’année 1876, M. Whitehead vendait aux puissances européennes une torpille automobile naviguant assez bien quand elle était sous l’eau, et douée également d’une vitesse suffisante. C’est donc à partir de cette époque seulement que la torpille automobile a mérité d’intéresser les gens de mer et de préoccuper les hommes politiques. On a d’abord essayé de lancer le nouvel engin avec des tubes dits tubes-carcasses, placés sous l’eau ; les résultats ont été satisfaisans ; mais lorsqu’il s’est agi de placer ces tubes-carcasses à bord des bâtimens et de lancer les torpilles pendant la marche, on a éprouvé des difficultés presque insurmontables provenant de la vitesse même de la marche, et l’on a été amené à l’idée de tirer les torpilles au-dessus de l’eau. N’étant pas construite pour cela, la torpille Whitehead donna de très mauvais résultats : de nombreux accidens se produisirent, auxquels il fallut remédier. M. Whitehead crut d’abord y parvenir en faisant des torpilles plus petites ; il leur donna 4m,40 de longueur au lieu de 5m,80. C’est ce type qui a constitué la torpille modèle de 1877. Ainsi modifiée, la torpille nouvelle était peu supérieure à celle de 1876. Mais

  1. Voir l’étude de l’amiral Jurien de La Gravière sur les Grandes Flottilles, dans la Revue du 1er avril 1880.