inédit cesse de l’être aussitôt qu’on l’a publié. Nous en aurions long à dire sur ce point, si précisément la négligence ou l’incurie de ces fanatiques du document, leur heureuse paresse et leur louable incapacité, n’avaient permis au duc de Broglie d’intervenir et de s’emparer, avant que personne l’eût gâté, d’un sujet que personne, et pour bien des raisons, n’eût sans doute pu traiter comme lui.
Il faut bien le dire, et ne pas se lasser de le répéter, nous manquons si peu de documens qu’au contraire, en quelque sujet que ce soit, nous en avons trop aujourd’hui qui nous sollicitent, et dérivent ainsi notre attention du principal vers l’accessoire, de l’essentiel vers l’inutile, du capital vers l’insignifiant. L’usage que M. de Broglie a su faire de ses documens dans ces quatre volumes n’en est pas ce qu’ils ont de moins remarquable ni ce qu’il importe le moins d’en bien mettre en lumière. On aime assez aujourd’hui les comparaisons qui tendraient à faire de l’histoire une science naturelle, et nous n’y verrions pas, nous non plus, tant d’inconvéniens si seulement on savait les choisir. Car, de même qu’une seule expérience, pourvu qu’elle soit bien faite et que l’on en ait savamment écarté toutes les causes d’erreur, suffit en physique ou en physiologie ; de même en histoire, nous n’avons pas besoin de tant de documens, et tout le problème est de savoir discerner, entre des milliers de pièces, la pièce unique ou les deux ou trois pièces qui lèvent les doutes, résolvent les difficultés, et finalement tranchent les questions. Veut-on suivre la comparaison ? De même donc encore que la découverte scientifique, malgré les prétendus exemples que l’on en donne quelquefois, ne dépend pas du hasard de l’expérience, et de même qu’il n’y a d’expériences dignes de ce nom que celles que l’on institue pour y chercher la confirmation ou la démonstration d’une idée préconçue ; tout de même en histoire, les plus précieux documens n’ont d’intérêt et par conséquent d’importance que celle qu’ils tirent de la justesse et de l’étendue de l’idée générale qu’ils servent à établir, appuyer, consolider. Ceux qui voudront voir comment la justesse de l’idée générale détermine le choix même des documens et en règle la distribution pourront se reporter du livre de M. de Broglie aux documens, et d’abord aux livres dont il s’est servi : celui de M. d’Arneth, celui de M. Droysen, la Correspondance politique de Frédéric, les Mémoires du duc de Luynes, ceux de Barbier, ceux de d’Argenson. Mais ils le verront mieux encore, pourvu qu’ils aient seulement quelque sens de l’histoire, s’ils considèrent comment, en toute occasion, les renseignemens inédits dont ces quatre volumes abondent viennent d’eux-mêmes s’y mettre en place, de telle sorte qu’ils paraissent faits pour que le duc de Broglie s’en servît un jour, et non pas le duc de Broglie pour avoir besoin d’eux, si par hasard ils lui eussent manqué. Parmi ces documens, imprimés ou inédits, à côté de ceux dont