Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 67.djvu/882

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

où on nous traitait de Canucks, où certains gallophobes annonçaient que notre langue finirait par sembler aussi déplacée dans le parlement que l’erse ou le gaélique dans celui de la Grande-Bretagne. Nous n’avons pas désarmé, nous restons toujours casque en tête et cuirasse au corps, nous craignons un retour offensif de l’ennemi et nous exigeons de nos journaux qu’ils frappent fort et dur ; sans cela peu de lecteurs et encore moins d’abonnés. C’est pourquoi nous ne connaissons pas la critique fine, nuancée, l’épigramme qui égratigne plus qu’elle ne déchire, la médisance enveloppée dans un compliment comme une pilule dans un bonbon : nous cognons à tour de bras ou nous portons aux nues ; entre le panégyrique et l’éreintement pas de milieu. » La presse canadienne peut cependant revendiquer quelques publicistes qui ont fait preuve d’un talent délicat et mesuré, comme M. l’abbé Casgrain avec ses Biographies littéraires, M. Oscar Dünn, auteur d’un bon Glossaire franco-canadien, MM. De Celles, Provencher, Gérin, Marchand, Lusignan, Hector Fabre, directeur d’un nouveau journal, le Paris-Canada, qui a pour but de faire mieux connaître « le Canada à la France et la France au Canada. » Il faut aussi tenir compte de l’action bienfaisante des instituts ou cercles, de l’université Laval, de la Société royale et de deux recueils périodiques la Revue canadienne et les Nouvelles Soirées canadiennes, petites oasis intellectuelles où la polémique fait trêve et laisse le champ libre aux travaux littéraires, à la nouvelle et aux vers. On y rencontre des études de MM. Faucher de Saint-Maurice, Dansereau, Tremblay, Buies, Lemay, Chapais, Poisson, Poirier, etc., dont plusieurs, le Voyage en Europe de M. Routhier entre autres, ont subi très honorablement l’épreuve du livre.

La littérature canadienne ne date guère que de 1840 : avant cette époque, elle se résume presque tout entière dans les chansons ; vieilles chansons françaises, comme la Claire Fontaine, devenue là-bas le chant national, complaintes populaires domine celle de Cadieux, Petit rocher de la haute montagne ; ballades naïves et touchantes comme celle du Canadien errant, que tout habitant sait avant même d’apprendre à lire, et qui a rendu plus célèbre M. Gérin-Lajoie, que son honnête roman de Jean Rivard ; chansons historiques, satiriques et politiques. Un tel genre convient essentiellement à cette race gaie, moqueuse et sociable qui se consolait de la persécution avec de petits vers, comme à l’époque où la France avait un gouvernement absolu tempéré par des chansons. Un compatriote attire-t-il l’attention par quelque haut fait ? Vite une chanson ! S’agit-il d’une élection ? On s’adresse au poète du cru et les couplets malins courent bientôt le pays ! La fête nationale de Saint-Jean-Baptiste a fourni mainte chanson au répertoire, et sir George