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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 68.djvu/587

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Ce n’en est pas moins par ces agens mal payés que passent les innombrables gratifications que Louis XIV distribue. Le roi de France paie non-seulement les ministres étrangers, mais leurs femmes, non-seulement les hommes d’état, les princes ecclésiastiques, les conseillers, mais les princes, les rois et les reines. Une quittance de Charles II d’Angleterre, 6 janvier 1674, monte à elle seule à 8 millions de livres. Encore au milieu du XVIIIe siècle, le roi et la reine de Suède, Adolphe-Frédéric et sa femme, Louise-Ulrique, sœur du grand Frédéric, obtiendront du roi de France 1,100,000 livres pour payer leurs dettes personnelles : leur lettre de remerciaient est du 3 avril 1767. Louis XIV eut presque constamment à sa disposition, par de tels moyens, les petits princes allemands, les électeurs ecclésiastiques ou séculiers, y compris l’électeur de Brandebourg, le plus cher à tous égards, et lu cour de Suède entre toutes. Quelques grandes puissances avaient tenté de faire de même, et les petits gouvernemens en étaient venus à compter au nombre de leurs ressources régulières ce qu’ils appelaient les « subsides ; » il allait de soi que les armées devaient être au service de qui les avait le mieux payées. Assisté d’un Colbert, Louis XIV ne redoutait en ce genre aucune concurrence sérieuse ou durable ; ses bonnes finances lui assuraient pour cela aussi d’abondantes ressources. C’était à ses ministres des affaires étrangères et à ses ambassadeurs qu’il laissait le soin de conseiller et de diriger tout ce négoce : ils acquittaient les subsides, ils répartissaient les grâces ; mais ils refusaient pour eux-mêmes les présens des souverains étrangers. Déjà, pendant les négociations de Westphalie, la vénalité des envoyés de l’empereur et de la Suède avait fait contraste avec le caractère de d’Avaux, de Servien et du duc de Longueville. Le chancelier Séguier disait de Pierre Chanut qu’il n’avait jamais connu d’homme ayant eu plus de moyens et d’occasions de s’enrichir et d’établir sa maison et les ayant méprisés plus glorieusement, ne prétendant pas d’autre récompense que celle d’avoir bien servi[1]. Feuquière, en mai 1674, tout gêné qu’il est avec sa nombreuse famille, n’accepte pas une assignation de 20,000 écus dont le roi de Suède veut obstinément lui faire cadeau. Colbert de Croissy, en mai 1715, refuse un diamant que lui offre le roi de Prusse[2].

  1. Linage de Vauciennes, Mémoires… tirés des dépêches de M. Chanut. Préface.
  2. Il n’y a pas de pratique sans exception. L’abbé de Gravel, envoyé de France en Allemagne), et frère du diplomate de ce nom bien connu, est moins scrupuleux et plus avisé pour éviter les embarras. Il propose nettement à Louvois, en octobre 1673, qu’une petite contribution de guerre, à son profit personnel, soit levée sur le pays voisin de sa résidence : cela lui sera un petit avantage, dit-il, sans qu’il en coûte rien. (Correspondance administrative de Louis XIV, publiée par Depping, IV, 741.)