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- D’autres ont suivi l’exemple d’Henri Regnault et sont venus aussi demander au Maroc sa vive lumière, ses types variés et originaux, et le cadre toujours changeant de la vie des pays d’Orient.

Hier encore, Maurice Bompard était ici, mettant à profit la récompense qu’à son deuxième envoi il a obtenue au Salon. Comme Regnault, avant de venir au Maroc, il a fait son pèlerinage à Grenade et à Cordoue, ces deux merveilles de l’art arabe, puis il s’est installé à Tanger, travaillant sans relâche, appliquant à tout ce qui l’entoure sa curiosité de voir et d’apprendre, me faisant partager son enthousiasme et ses jouissances d’artiste par sa spontanéité entraînante et sa chaleur méridionale.

A peu de jours de distance, Benjamin Constant lui a succédé. Il n’en est plus à son premier voyage au Maroc ; il y a longtemps vécu, et ses longs voyages dans l’intérieur lui ont livré tous les secrets de ce pays lumineux.

C’est ma grande distraction de rester des heures entières près de son chevalet, au milieu de ses étoffes soyeuses et chatoyantes, de ses armes précieuses, de ses vieux tapis, à admirer la délicatesse de ses dons de coloriste, la merveilleuse facilité et la précision de son pinceau. Il vient de terminer un superbe Kaïd drapé de bleu, qui va partir pour le Salon par le prochain paquebot, et il travaille aujourd’hui à une Fatmah que l’Amérique va nous enlever. C’est une jeune Mauresque vêtue d’un caftan saumon broché d’or, sanglée dans une ceinture violette, les yeux cerclés de khôl, la tête couverte d’un foulard que serre un ruban orné de pierreries et d’où s’échappent les mèches ébouriffées de ses cheveux. Elle est assise sur le rebord d’une terrasse, les reins cambres, s’appuyant en arrière sur les mains, et sa physionomie exprime une lassitude rêveuse, un peu voluptueuse.


Tanger, le 19 février.

Ma promenade favorite, celle dont mon cheval prend de lui-même le chemin au sortir de l’écurie, est le sentier qui, longeant la mer, aboutit au cap Spartel. Le chemin, par endroits, est à peine tracé, il gravit les falaises qui dominent à pic l’entrée du détroit de Gibraltar et en suit toutes les anfractuosités. On traverse d’abord le plateau du Marshan, à l’extrémité duquel un cimetière arabe abandonné, aux tombes effondrées, aux pierres tumulaires renversées, descend en gradins jusqu’à la mer au milieu de bouquets de palmiers et de tamaris. Plus loin, le sentier s’enfouit sous la verdure : des figuiers, des oliviers, des chênes-liège, sous lesquels des touffes de lentisques odorantes tapissent le sol, forment une charmille épaisse. A 150 mètres plus bas, les lames de l’océan viennent