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S’étonnera-t-on maintenant de la conduite que tint le personnage lors du baptême de la petite Françoise ? La reconnaître, quoique marié, lui donner pour parrain son fils légitime, c’était traiter de haut, avec une insolence cavalière, des préjugés chers aux gens du commun, exciter des propos indignés qu’il méprisait d’avance, et jouer un bon tour à sa femme qui boudait au fond de son château. En fallait-il davantage pour décider un homme tel que lui ?

Quant à Marie Hervé, petite bourgeoise de Paris, elle avait sans doute autant de préjugés que M. de Modène en avait peu, et peut-être ne faut-il voir dans sa présence au baptême que le désir de réparer dans la mesure du possible le procédé irrégulier de sa fille. La reconnaissance de l’enfant et le parrainage de M. de Modène le fils, mais cela valait presque de justes noces ! Elle voulut donc faire savoir aux bonnes âmes de son quartier que le faux pas de Madeleine sortait de l’ordinaire, qu’il y avait là une sorte d’union morganatique, et bravement, toute fière, elle alla tenir sa petite-fille à Saint-Eustache. Puis, pour se hausser à la condition du père et du parrain, elle eut bien soin, dans l’acte de baptême, de donner à son mari le titre « d’écuyer. » Ainsi les choses se passaient presque régulièrement, de plain-pied, entre gens du même monde, et les mauvaises langues en étaient pour leurs frais.

Voilà donc Madeleine de retour à Paris. Elle joue peut-être à l’hôtel de Bourgogne ou au Marais ; il est plus probable, cependant, qu’elle se contente de cultiver ses talens de comédienne dans une des nombreuses troupes d’amateurs que Paris possédait alors. Autant que l’on en puisse juger par les témoignages de ses contemporains (je ne parle pas de ses portraits ; aucun n’est vraiment authentique), c’était une grande et belle personne, d’une beauté quelque peu virile, avec des cheveux d’un blond vénitien. Ne nous étonnons pas qu’elle ait de si bonne heure fait parler d’elle ; toute direction morale dut lui manquer, et elle vivait dans un quartier où les mœurs étaient d’une grande liberté ; car c’était un quartier neuf, habité par le monde élégant, et où, pour ces deux raisons, abondaient les femmes de mœurs faciles : Scarron appelait un jeune garçon, fils d’une de ses sœurs restées demoiselles, « son neveu à la mode du Marais. » En revanche, elle était intelligente et lettrée ; l’année même de son émancipation, en 1636, elle adressait à Rotrou, qui venait de donner à l’hôtel de Bourgogne son Hercule mourant, un quatrain qui dut avoir son succès, grâce à la pointe qui le termine :


Ton Hercule mourant te va rendre immortel ;
Au ciel comme en la terre il publiera ta gloire,
Et, laissant ici-bas un temple à ta mémoire,
Son bûcher servira pour te faire un autel.