systèmes philosophiques et les religions affectés par les conditions de climat, de régime et d’éducation subies par leurs fondateurs et leurs inventeurs. Les vapeurs qui donnent au cerveau la maladie appelée le génie préparent la célèbre formule : Le génie est une névrose. La plupart des idées flottent dans l’air un temps plus ou moins long avant de rencontrer l’homme qui se les assimile et les rend au monde éclaircies, fixées et précisées. Swift en a saisi au passage un grand nombre qui lui donnent continuellement des airs de précurseur, mais il les relâchait après les avoir effleurées, en sorte qu’elles recommençaient à flotter.
Chemin faisant, Swift n’avait point oublié ses ennemis. Il avait perfectionné à leur intention l’antique précepte : « Œil pour œil, dent pour dent. » Il en avait fait : « Ote-moi un cheveu et je t’arrache un œil.» Dryden, en particulier, apprit ce qu’il en coûtait de toucher au cousin Swift, ne fût-ce que du bout du doigt et à propos d’odes pindariques. Plusieurs attaques violentes n’assouvirent pas la rancune du cousin, qui revint à la charge dans un autre pamphlet de la même époque, la Bataille des livres, auquel nous ne nous arrêterons point parce que c’est un écrit de circonstance, provoqué par la grande querelle des anciens et des modernes. Il est vrai que Swift donne l’excuse de son acharnement dans l’Apologie écrite en 1709 et mise en tête des éditions ultérieures du Conte du Tonneau. Il y explique si bien que Dryden est un apostat, un hypocrite, un homme ayant tous les vices, que nous sentons qu’il a encore été trop doux pour ce monstre.
Malgré tout, l’impression que laisse la lecture du Conte n’est pas amère, parce que l’auteur n’y fait que railler et berner. Il se moque, il ne maudit pas encore comme il le fera dans la dernière partie de Gulliver. Ainsi que l’a dit très justement M. Taine, dans le Conte, c’est la folie humaine qui est en cause ; dans Gulliver, ce sera la perversité humaine, et l’on souffre plus de voir la méchanceté ou la bassesse que l’extravagance ou la sottise.
La merveille, c’est qu’ayant fait et imprimé le Conte du Tonneau, Swift se mit à rêver d’être évêque, non par fantaisie d’humoriste qui se plaît aux contrastes qu’offre la vie, mais très sérieusement, parce que la place lui convenait, et qu’il se croyait tout propre à la remplir. Il faisait valoir qu’il avait donné l’avantage, dans sa satire, à l’église anglicane représentée par Martin. Il ajoutait qu’on ne trouverait dans son ouvrage aucune grossièreté contre les membres du clergé anglican et que, d’ailleurs, ceux-ci n’avaient qu’à ne pas lire le Conte : il n’avait pas été écrit pour eux. La persistance qu’on mit à ne pas le nommer évêque lui parut une persécution, et, comme il s’entêta à ne pas vouloir autre chose, le grand signe de l’humaine ingratitude. La merveille des merveilles, c’est que ses panégyristes