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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/364

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le passé avec le présent et de conserver les choses en apparence perdues. Il n’y avait pour cela qu’un moyen : leur affecter dans le cerveau une place toujours actuelle, un organe toujours prêt à les ressusciter : un petit coin où reverdira le brin d’herbe, un autre où se lèveront les astres. Ainsi deux opérations inverses constituent notre connaissance du monde : faire s’écouler l’espace sous la forme successive du temps, c’est la sensation ; fixer le temps sous les formes simultanées de l’espace, c’est la mémoire. Double prodige, qui, si on parvenait à en découvrir le secret, nous livrerait sans doute le secret de l’esprit même. ?sous nous proposons de montrer, en résumant et appréciant les plus récens travaux sur ce sujet, à quel point précis est arrivée la psychologie contemporaine, et quelle est la limite de ses explications.

La mémoire à son tour suppose, de l’aveu de tous, trois fonctions dont il faut rendre compte. Quand Mozart, après avoir entendu deux fois le Miserere de la chapelle Sixtine, le notait de mémoire malgré son extrême complication, il avait conservé la représentation des sons et de leurs rapports, il la reproduisait, enfin il la reconnaissait pour identique à ce qu’il avait entendu dans le passé : voilà la mémoire complète. Mais quel degré d’importance relative faut-il attribuer à ces trois fonctions universellement reconnues et quelle est celle qui constitue par essence le souvenir ? Tel est le grand problème sur lequel se divisent encore nos psychologues. Vous devinerez les tendances de chacun à la manière dont il vous répondra. Pour M. Ribot, par exemple, l’action de reconnaître une idée est la chose du monde la plus secondaire ; c’est un phénomène de conscience et comme d’éclairage intérieur qui se surajoute à tout le reste, mais qui n’est nullement nécessaire ; qu’importe que la mémoire soit consciente ou inconsciente ? La terre ne tourne pas moins pendant la nuit que pendant le jour. Suivant en cela MM. Maudsley, Huxley et Taine, M. Ribot va jusqu’à dire que la conscience, qui reconnaît les idées conservées et se reconnaît elle-même à travers le temps, est un simple « accompagnement » des fonctions nerveuses. Aussi est-elle incapable de réagir sur elles, pas plus que l’ombre n’agit sur les pas du voyageur qu’elle escorte. L’unique question, selon M. Ribot et M. Maudsley, c’est donc de chercher comment, en dehors de toute conscience, un état nouveau s’implante dans l’organisme, se conserve et se reproduit ; en d’autres termes, « comment, en dehors de toute conscience, se forme une mémoire. » Et pour cela, il est utile de voir aussi comment elle peut se déformer par la maladie. — À cette façon de poser le problème, qui est aussi à peu près celle de M. Richet dans ses pages suggestives sur la Mémoire élémentaire, il n’est pas difficile de