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deviendront dans la refonte des institutions au creuset démocratique, l’état, la nation, la religion, la société, car tout cela est en cause à la fois.


III.

Après la patrie et l’état, le monde et l’humanité ; après la politique intérieure, la politique étrangère et les relations des peuples entre eux. Suivons-y un instant le libéralisme ou, si l’on aime mieux, l’esprit moderne : il s’y montre avec les mêmes caractères, les mêmes ambitions, les mêmes présomptueuses espérances, et, finalement, les mêmes déceptions. Ici encore, à travers toute la diversité des états et des peuples, apparaît l’unité morale de l’Europe et avec elle l’ascendant croissant de la démocratie. Ici encore nous rencontrons des notions idéales à l’aide desquelles le libéralisme s’était flatté de résoudre d’une manière rationnelle les problèmes jusque-là livrés à la force et tranchés par l’épée. Ici encore le monde moderne a éprouvé la difficulté d’assujettir aux idées abstraites et au droit spéculatif le mobile domaine de la réalité. Ici encore l’application des nouveaux principes s’est heurtée aux intérêts qu’elle prétendait concilier et aux passions qu’elle espérait pacifier. De la mise en pratique des maximes nouvelles, sont sorties de nouvelles luttes, de nouvelles questions qui en ont entravé l’application, de nouvelles convoitises qui en ont dénaturé et altéré l’esprit. Ici encore l’extrême démocratie a fini par renier les principes qu’elle avait acclamés et par abjurer les dogmes proclamés en son nom.

L’ambition du libéralisme, en ses heures de virile jeunesse, ne se confinait pas à l’arène étroite de la politique intérieure, elle débordait hardiment au-delà des frontières, sur le vaste champ de la politique internationale, qu’il prétendait également renouveler. Il se flattait de changer de fond en comble la base des relations des états ; il ne désespérait pas de leur donner pour règle les mêmes principes de droit, les mêmes notions d’égalité et de liberté qu’il s’était promis de faire régner au dedans de chaque nation. Les vieilles et toujours renaissantes querelles de peuple à peuple, si longtemps et si vainement abandonnées à l’arbitraire jugement des armes dont chaque génération appelle à son tour, il s’était flatté de les soumettre à la raison, au droit, à la liberté, dont la sentence serait spontanément acceptée de tous. En sa généreuse présomption, il avait entrepris de purifier le champ ensanglanté des rivalités nationales. Le XIXe siècle avait refait à sa façon le vieux rêve des philosophes couronnés et des politiques humanitaires, le rêve de la paix universelle ; mais il l’avait fait d’une manière nouvelle qui