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lesquels la religion tient lieu de nationalité ou se confond avec elle, mais dans la plupart des pays chrétiens, particulièrement dans ceux qui comptent une nombreuse population catholique. En beaucoup d’états, en Allemagne, en Italie, en Belgique, en Suisse, en France même, elles demeurent au premier rang. Le seul fait que de pareilles questions persistent à encombrer l’arène de la politique est un échec pour le libéralisme, qui s’était flatté de les en éliminer. Aucune tâche, en effet, ne lui avait paru plus urgente ni plus aisée.

Les querelles religieuses ont beau avoir longtemps déchiré l’humanité ; elles ont beau avoir engendré des guerres civiles et des guerres internationales, les questions de religion semblaient de celles que l’esprit moderne pouvait, sans trop de présomption, se promettre de résoudre politiquement à l’aide de ses maximes favorites, à l’aide des deux idées de liberté et d’égalité. Le rôle de pacificateur, vainement attribué dans les relations de peuple à peuple au principe de nationalité, un principe au fond analogue, le principe de tolérance, semblait appelé à le jouer entre les différens cultes. Pour amener les diverses religions et confessions à vivre en paix côte à côte, ne devait-il pas suffire de les admettre toutes à une égale liberté ? Telle était la théorie, et il faut reconnaître que, si elle n’a point partout réussi, c’est qu’elle est loin d’avoir été partout sincèrement pratiquée. Si, à cet égard, les espérances du libéralisme n’ont pas encore été réalisées sur le continent comme en Angleterre ou en Amérique, les deux pays les plus épris de controverses religieuses, c’est en grande partie que, sur le continent, le libéralisme s’est souvent montré infidèle à son propre principe, ou, ce qui revient au même, qu’il l’a outré en passant de la neutralité entre tous les cultes à l’aversion pour certains d’entre eux ou pour la religion même.

Les luttes religieuses du passé ayant été provoquées par l’intolérance des sectes ou par l’ingérence de l’état dans leurs disputes, on était en droit de croire que, pour enlever à ces querelles tout caractère politique, il n’y avait qu’à en désintéresser l’état, qu’à dénouer les liens qui unissaient le pouvoir civil aux diverses églises, qu’à faire cesser l’ancienne solidarité du temporel et du spirituel en proclamant l’état incompétent en matière religieuse. C’est ce qu’ont fait successivement, avec plus ou moins de décision, la plupart des états contemporains. En aucun domaine, le courant des idées modernes ne s’est manifesté avec plus de force et d’unité. S’il reste encore des religions d’état, elles n’ont plus les mêmes privilèges qu’autrefois. Les églises ont perdu leur ancien monopole ; aucun clergé, en dehors de la Russie et de l’Espagne, ne demeure à l’abri de la concurrence ; aucun ne peut compter sur l’appui du bras séculier. Des Pyrénées aux Carpathes, il y a une tendance générale à la