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fenêtres du palais. M. de Chateaubriand avait conscience de cette petite guerre intime et de ces procédés intentionnellement offensifs, mais il ne semblait même pas s’en apercevoir. Son attitude était celle d’un mari très patient, résigné et plutôt complaisant. Il avait tant à expier !

Ni M. ni Mme de Chateaubriand ne se sont jamais mis beaucoup en peine du personnel de leur ambassade ; il était si nombreux : trois secrétaires, M. Belloc, premier secrétaire, homme de mérite depuis longtemps fixé à Rome ; M. Desmousseaux de Givré, second secrétaire ; M. le vicomte de Ganay, troisième secrétaire, et je ne sais combien d’attachés dont j’étais de beaucoup le plus jeune. Nous n’étions guère admis dans l’intimité. Les habitudes de cet intérieur différaient essentiellement de celles qui ont été en usage sous la restauration et que j’ai vues se continuer encore sous le règne de Louis-Philippe. Mme de Chateaubriand était loin d’avoir, pour les secrétaires de son mari et pour ses jeunes attachés, les mêmes attentions délicates, les mêmes recherches affectueuses et presque maternelles que j’ai vu Mme de Sainte-Aulaire à Vienne et à Rome même, Mme de Barante à Turin, prodiguer autour d’elles, et qui faisaient alors comme une seule et même famille de toutes les personnes d’une ambassade.

Aux jours de réception et de gala, les salons du palais Simonetti, situé à l’extrémité du Corso, non loin de la place de Venise, étaient certainement très fréquentés, comme ceux de tous les autres ambassadeurs accrédités près du saint-siège. Cependant M. de Chateaubriand exagère singulièrement l’effet produit à Rome par ce qu’il appelle l’éclat de ses fêtes ; et son erreur est complète, quand il suppose que, par sa supériorité dans l’art de la représentation et par la magnificence inaccoutumée de ses bals et de ses soupers, il aurait excité la jalousie de ses collègues. Il n’en fut rien : outre que les appartenons du palais Simonetti se prêtaient mal au déploiement d’un luxe très grandiose, Mme de Chateaubriand, faute d’entrain et de santé, M. de Chateaubriand, par manque de naturel et d’aisance, et toujours préoccupé de l’effet produit par sa personne, n’étaient pas d’excellons maîtres de maison. Rien de moins justifié que la sévérité des jugemens portés dans ses Mémoires par notre ambassadeur sur ses collègues du corps diplomatique à Rome, jugemens dont M. de Marcellus a fait ressortir avec raison la notoire injustice. Le fait est qu’en sa qualité de grand politique, de poète et d’orateur, il ne laissait pas de s’exprimer sur le ton du dédain qui lui était habituel, au sujet des méchantes petites affaires quotidiennes et des puériles questions de forme et d’étiquette auxquelles les chancelleries des diverses légations à Rome