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avaient, suivant lui, le ridicule d’attacher une importance démesurée. En revanche, offusqués et quelque peu éclipsés aux yeux du public, par la réputation européenne du nouvel ambassadeur de France, les hommes du métier, habitués depuis de longues années à traiter avec le Vatican, contestaient l’aptitude de M. de Chateaubriand à soutenir les intérêts de son pays et à défendre avec succès, auprès du saint-siège, les causes dont il était chargé. Des personnes d’ordinaire bien informées n’ont pas hésité à m’assurer, par exemple, qu’il s’était fait la plus étrange illusion lorsque, dans ses dépêches du printemps de 1829, il s’était vanté à son gouvernement d’avoir été très bien instruit, jour par jour, de ce qui s’était passé au conclave où fut élu le pape Pie VIII, et d’avoir puissamment contribué à l’élection de ce souverain pontife. A les entendre, il n’en était absolument rien. Telle était l’opinion qu’à Naples, au moment même de cette élection, j’ai entendu soutenir à M. de Blacas, notre ambassadeur près la cour des Deux-Siciles. Il est vrai que M. de Blacas, qui avait autrefois géré l’ambassade de France à Rome, était un adversaire politique et, sur ce terrain de l’influence à exercer sur les affaires de l’Italie, presque un rival pour M, de Chateaubriand.

Quoi qu’il en soit, je dois convenir que, dans l’habitude de la vie, le cercle qui se réunissait le soir autour de M. et Mme de Chateaubriand était restreint, assez peu varié et rien moins qu’animé ; on n’y causait presque pas. Il s’en fallait beaucoup qu’il pût passer pour un échantillon de ces salons parisiens où, sous les régimes les plus différens, il s’est dépensé tant de libre esprit et qui, au dehors, comme je l’ai vu pendant toute la durée de la restauration, pendant le règne du roi Louis-Philippe et jusqu’en ces dernières années, avaient le don de charmer les étrangers, parce qu’ils leur donnaient l’illusion qu’ils y retrouvaient un petit coin de la France. Voici d’ordinaire comment les choses se passaient au palais Simonetti : M. Belloc, le premier secrétaire, arrivait au commencement de la soirée et allait causer quelques minutes dans un coin avec l’ambassadeur, tandis que l’abbé Delacroix, attaché à l’église Saint-Louis-des-Français, l’assidu visiteur de Mme de Chateaubriand, dont, je ne sais pourquoi, il n’est pas souillé mot dans les Mémoires d’outre-tombe, entretenait notre ambassadrice du détail des affaires ecclésiastiques de la cour de Rome. S’il n’arrivait pas d’étrangère, M. de Chateaubriand provoquait M. Desmousseaux de Givré à faire avec lui une partie d’échecs, jeu auquel il se croyait à tort ou à raison d’une certaine force, ce qui ne l’empêchait pas de perdre souvent, mais sans trace de mauvaise humeur.

Tout cela était passablement monotone et fort silencieux. Notre