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Tout d’abord, il consacre des sommes importantes à fonder des bourses, afin de permettre aux jeunes gens pauvres de faire des études humanitaires ; il dote ainsi presque tous les gymnases croates, et entre autres ceux d’Essek, de Varasdin, de Fiume, de Vinkovce, de Seny, de Gospitch, et plus tard l’université d’Agram ; à Djakovo même, ses largesses on faveur de l’instruction sont incessantes et considérables. Il y crée un gymnase, une école supérieure de filles, une école normale de filles, un séminaire pour les Bosniaques, et tout cela est entretenu à ses frais. Plus tard il y organise une école normale d’instituteurs, et cela seul lui coûte 200,000 francs de premier établissement. Il ne ménage rien pour contribuer au développement des différentes littératures jougo-slaves. Il patronne et de toute façon les créateurs de la langue serbe officielle Vuk Karndzitch et Danichitch, puis les deux frères Miladinovci, qui, accueillis dans sa demeure, y travaillent à leur édition des chansons populaires bulgares, un des premiers livres parus en cette langue, et qui préparait le réveil de cette jeune nationalité. Dans son séminaire épiscopal, il fonde et dote une chaire pour l’étude des anciennes langues slaves. En même temps, il commence à former cette vaste bibliothèque qu’il compte laisser aux différentes écoles de Djakovo et le musée de tableaux qu’il destine à Agram. Enthousiaste de l’art, il va en Italie pour en admirer les merveilles et en rapporter quelques spécimens, chaque fois que sa santé exige quelque repos. Toutes les institutions, toutes les publications, tous les hommes de lettres qui se sont occupés de la Croatie ont reçu de lui un généreux appui.

Quoique toujours prêt à défendre les droits de son pays, ce grand patriote n’est entré dans l’arène politique que pour obéir à un devoir qu’on lui imposait. Après la chute du ministère Bach, quand s’ouvrit à Vienne l’ère constitutionnelle, Strossmayer fut appelé par l’empereur dans le « Reichstag renforcé, » avec le baron Wranicanji. Ils y réclamèrent, en toutes circonstances, avec la plus grande énergie, l’autonomie complète de la Croatie. J’ai toujours pensé qu’on aurait pu alors établir en Autriche un régime rationnel et durable, reposant sur l’indépendance historique des différens états, mais avec un parlement central pour les affaires communes, comme en Suisse et aux États-Unis. On laissa passer le moment opportun, et après Sadowa, il fallut subir l’Ausyleich et le dualisme imposé par la Hongrie. L’empire fut coupé en deux et la Croatie livrée à Pest. Lorsque s’engagèrent les négociations pour régler les rapports entre la Hongrie et la Croatie, on crut nécessaire d’écarter Strossmayer, qui ne voulait à aucun prix sacrifier l’autonomie de son pays, fondée sur les traditions de l’histoire.