Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/894

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peut-être pas encore une conscience bien nette et qu’il laissa percer çà et là quelque chose de ses vagues appréhensions.

La petite querelle de directeur et de mari qu’il introduit dans l’Impromptu de Versailles laisserait même croire qu’il vivait encore à ce moment dans une parfaite sécurité. Sur une observation d’Armande, il l’interrompt : « Taisez-vous, ma femme ! vous êtes une bête. — C’est une chose étrange, réplique Armande sans s’émouvoir, c’est une chose étrange qu’une petite cérémonie soit capable de nous ôter toutes nos belles qualités, et qu’un mari et un galant vous regardent la même personne avec des yeux si différens ! » Molière impatienté : « Que de discours ! » Armande poursuit avec le même flegme : « Ma foi, si je faisois une comédie, je la ferois sur ce sujet. Je justifierois les femmes de bien des choses dont on les accuse, et je ferois craindre aux maris la différence qu’il y a de leurs manières brusques aux civilités des galans. » Et les critiques de s’écrier : « La menace est assez claire ! Molière prévoit le sort qui l’attend, puisqu’il le fait pressentir lui-même. » Non ; il se sert ici, pour un effet plaisant, d’un simple lieu-commun de comédie, et, par cela même qu’il l’emploie, c’est qu’il n’en redoute pas l’application pour lui-même.

Le Mariage forcé et George Dandin offrent peut-être des allusions plus directes à son ménage. Il ne serait pas impossible qu’aussitôt marié il ait entendu de la bouche de sa femme la déclaration que Dorimène fait à Sganarelle : « Je crois que vous ne serez point de ces maris incommodes qui veulent que leurs femmes vivent comme des loups-garous. Je vous avoue que je ne m’accommoderois pas de cela et que la solitude me désespère. J’aime le jeu, les visites, les assemblées, les cadeaux et les promenades ; en un mot, toutes les choses de plaisir. » Angélique, de son côté, dit à George Dandin : « C’est une chose merveilleuse que cette tyrannie de messieurs les maris et je les trouve bons de vouloir qu’on soit morte à tous les divertissemens et qu’on ne vive que pour eux ! Je me moque de cela et ne veux point mourir si jeune… Je veux jouir, s’il vous plaît, de quelque nombre de beaux jours que m’offre la jeunesse, prendre les douces libertés que l’âge me permet, voir un peu le beau monde et goûter le plaisir de m’ouïr dire des douceurs. » Ces deux passages rappellent ce que nous apprend Grimarest du ménage de Molière. Aussitôt mariée, Armande « se croit une duchesse, » se pare avec fureur et coquette « avec le courtisan désœuvré qui lui en conte ; » elle hausse les épaules aux observations de son mari ; ces leçons lui paraissent « trop sévères pour une jeune personne qui, d’ailleurs, n’a rien à se reprocher. » Avec le Mariage forcé nous sommes au