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Dans cette masse hétérogène, il est cependant possible encore de reconnaître des embryons d’écoles différentes qui essaient, soit de lutter contre une mort prématurée, soit de naître à la lumière et au jour. En cherchant bien, vous trouverez les tableaux de l’école néoclassique, école officielle patronnée par l’Institut et subventionnée par le gouvernement. C’est une école généralement grave, sage, réservée, modérée, correcte, dont les élèves ont presque tous appris le dessin, l’anatomie, la perspective, plus beaucoup d’autres choses que les peintres doivent laborieusement apprendre quand leur génie ne les leur a pas révélées. Cette école a produit de grands maîtres autrefois : M. Ingres, le plus grand peut-être, M. Flandrin, M. Baudry, M. Dubois, d’autres encore, sans compter M. G. Boulanger, qui, aujourd’hui, écrit des brochures. Malheureusement la fécondité de l’école néo-classique semble se ralentir un peu et un grand nombre de ceux qu’elle a formés tombent dans la peinture anecdotique et bourgeoise.

M. Gérôme en est un exemple frappant, lui qui a commencé par un tableau grand comme les Noces de Cana, le Siècle d’Auguste, et qui finit aujourd’hui par des miniatures à l’huile. Mais que vais-je parler de M. Gérôme ! J’ai admiré dans les salles, cinquante ou soixante Gérôme qui n’étaient point de Gérôme. Serons-nous jamais délivrés des copistes et des imitateurs ? Le seul vrai, l’unique Gérôme du Salon de cette année porte le n° 1087 et représente la Piscine de Brousse. C’est un tableau aussi correctement dessiné, aussi soigneusement peint, aussi fini, aussi brillant, aussi minutieux dans les détails, aussi froid dans son ensemble que les meilleures œuvres du maître. Je donnerais même tous les autres Gérôme du Salon pour celui-là. M. Gérôme a passé par l’école avant d’entrer à l’Institut ; aussi dessine-t-il mieux, compose-t-il mieux et peint-il mieux que ses plagiaires. C’est un peintre classique de beaucoup de valeur égaré dans une photographie. N’attendez pas que ses tableaux éveillent en vous des sensations profondes ou nouvelles, qu’ils vous prennent par le cœur autant que par les yeux, non certes ! Mais si vous êtes amateur de faïences, de pierres rares, d’architecture délicatement ouvragée, si vous avez le goût de la symétrie et de l’exactitude, vous pourrez admirer tout à votre aise chez l’auteur du Combat de coqs, chez le peintre de Phryné devant l’Aréopage, ces qualités très respectables : l’archéologie n’y trouve rien à reprendre, la minéralogie en est satisfaite, l’ethnographie n’a que des éloges à lui adresser. Des rayons, venus d’en haut, éclairent dans cette piscine différens groupes de femmes très déshabillées comme il convient à d’honnêtes personnes qui se disposent à entrer au bain, à en sortir, ou qui se plongent jusqu’à