Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/98

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

distraction d’un scribe qui aura écrit un X en chiffres romains à la place d’un V. Et ce qui vient à l’appui de la date que nous proposons, c’est que ce fut, pendant ce séjour à Neufchâteau, qu’un jeune homme, qui prétendait avoir été fiancé à la Pucelle, assigna celle-ci devant l’officialité de Toul ; or on ne comprendrait pas que quelqu’un eût pu concevoir l’idée d’intenter ce procès si Jeanne avait eu alors moins de quinze ans. En même temps que les hommes d’armes d’Antoine de Vergy bloquaient Vaucouleurs, ils n’avaient garde de ne point compléter ce blocus en portant le pillage et l’incendie dans la plupart des villages dépendant de la châtellenie dont ils voulaient réduire le chef-lieu en l’obéissance du roi d’Angleterre. La maison forte de l’île de Domremy, refuge ordinaire des habitans de cette seigneurie, ne devait pas offrir une sécurité suffisante contre des forces aussi considérables ; d’ailleurs, elle était peut-être déjà démantelée à cette époque. Outre que la distance rendait difficile une retraite derrière l’enceinte de Vaucouleurs, le premier soin de l’ennemi avait sans doute été de cerner la forteresse confiée à la garde de Robert de Baudricourt. Il ne restait, en réalité, d’autre refuge accessible et sûr que Neufchâteau, ville lorraine de nom, mais française de cœur, dont les bourgeois entretenaient de vieille date avec les habitans de Domremy toute sorte de rapports de commerce et de bon voisinage. De plus, à cette date, le mari de Jeanne de Joinville, dame de Greux et de Domremy, Henri d’Ogéviller, était un chambellan du duc de Lorraine, et ce duc lui-même avait pour gendre et héritier présomptif René d’Anjou, suzerain de la partie barroise de Domremy, allié fidèle et ami intime du capitaine de Vaucouleurs. Toutes ces circonstances expliquent la retraite dans une ville du duché de Lorraine, inféodé, du reste, à l’alliance anglo-bourguignonne, de ces villageois dont quelques-uns étaient à la fois sujets immédiats du duc de Bar et sujets médiats du roi de France.

Avertis probablement à temps de l’approche de l’ennemi, ces pauvres gens avaient pu pousser devant eux et soustraire ainsi à la rapacité des hommes d’armes les troupeaux qui constituaient leur principale richesse. Du moins, un témoin entendu au procès de réhabilitation, Jacquier de Saint-Amant, rapporta qu’il avait vu la fille cadette de Jacques d’Arc, pendant cette retraite forcée à Neufchâteau, mener paître dans les champs situés aux environs de cette ville le bétail de ses parens. Ceux-ci avaient été assez heureux pour trouver un asile dans une auberge tenue par une brave femme surnommée la Rousse ; et comme Jeannette, déjà grande fille exercée à tous les travaux du ménage, ne se faisait pas faute de venir en aide à son hôtesse et de lui donner, à l’occasion, de bons coups de main, les Anglais prétendirent plus tard qu’elle avait