Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 70.djvu/199

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

maîtres anciens qu’il a si consciencieusement étudiés, il croit à l’association intime de toutes les formes de l’art, comme Michel-Ange, et pour choisir des exemples plus récens, comme M. Falguière, comme M. Paul Dubois, comme M. Antonin Mercié, il pense qu’on peut être à la fois sculpteur et peintre et il rencontre le succès dans tous les genres.

Le Salon de sculpture de 1885 n’est pas destiné à rester dans la mémoire de ceux que passionnent les intérêts de l’art comme une de ces expositions exceptionnellement heureuses où se rencontrent à chaque pas des œuvres de premier ordre. Il a cependant donné asile à un certain nombre de morceaux excellens, et, fortune plus rare, il a abrité une œuvre vraiment admirable, qui se peut comparer aux morceaux les plus célèbres de la statuaire. Elle conserverait en leur présence ce je ne sais quoi de personnel, d’achevé, de définitif : ce charme suprême et envahissant que seuls ont mis dans leurs œuvres les maîtres qui vivront glorieux dans la mémoire des hommes parce qu’ils ont tenté d’exprimer l’inexprimable ; parce qu’ils ont réussi à tenir captive et charmée, dans la matière transfigurée par eux, cette insaisissable, qui est la pensée ; parce qu’ils sont parvenus, — triomphe des artistes vaillans, — à nous donner la sensation délicieuse de l’idéal réalisé.

Quand une exposition voit naître un ouvrage de ce genre, elle le fait sien. Ceux qui auront à parler, dans l’avenir, du Salon de 1885, le désigneront d’un seul mot : c’est le Salon où M. Antonin Mercié a exposé le Souvenir. C’est aussi le Salon où lui a été accordée cette récompense véritable, qui n’est à la merci d’aucune rivalité, qu’aucune coterie ne distribue ou ne refuse, et que décerne seule à l’artiste l’unanime admiration du public. Combien de figures ont été sculptées pour des tombes ! Combien taillées sur les sarcophages d’Egypte ! Combien élevées dans les campi-santi de l’Italie ! Pour redire cette histoire éternellement répétée de la mort, M. Antonin Mercié a trouvé des accens nouveaux et émouvans. Il a placé sur la pierre funéraire une jeune femme voilée, attendrie, mystérieuse. Délicatement drapée dans ses vêtemens de marbre blanc, elle laisse échapper de sa main quelques fleurs décolorées : c’est la Grâce en deuil, pleurant sans doute sur quelque sœur disparue.

Et dans l’exécution quel respect de l’art ! Sous la langueur molle et élégante de l’attitude se devine le corps souple et vivant de l’immortelle. Elle est enveloppée de vêtemens ; mais, à travers le vêtement, transparaît la poésie du nu, savante et délicate. Ni la Jeunesse, de M. Chapu ; ni la Pensée, du même artiste, qui sont dans ce genre pour les sculpteurs contemporains d’admirables modèles d’élégance ingénieuse, ne nous paraissent avoir résolu avec plus