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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 70.djvu/449

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telle sorte que les premiers chocs soient soutenus par les plus éprouvées, et que les moins sûres soient réservées pour les périls moins grands. Les anciens, pour symbole de la puissance militaire, avaient choisi la lance. Elle est une et pourtant diverse : toute de fer, elle serait trop lourde ; toute de bois, elle serait inefficace ; faite de l’un et l’autre, elle est forte, et, pourvu que son extrémité soit forgée d’un solide métal, l’arme entière s’enfonce dans la blessure ouverte par lui.


IV

En même temps que cette organisation donne au pays plus de puissance, elle lui coûte moins de sacrifices. Au lieu d’entretenir deux armées, l’une pour la grande guerre, l’autre pour les guerres coloniales, et toutes deux s’élevant à 700,000 hommes, elle assure les deux services par l’entretien annuel de 488,000 hommes. Elle laisse à la France plus de 200,000 hommes et de 200 millions que le service de trois ans exigera. Non-seulement elle libère l’avenir de cette charge écrasante, mais elle permet de réduire les dépenses qui aujourd’hui pèsent sur le budget. La présence de vieux soldats rendra inutiles les primes, les retraites, et tout l’appareil scolaire qu’il faut pour former en hâte et retenir les sous-officiers. Le commandement sera dégagé de sa tâche la plus rebutante, l’armée allégée de pédantisme ; et, autant qu’il est possible de voir dans l’obscurité des budgets, on obtiendra de ce chef une première économie de 10 à 15 millions.

Une autre sera plus considérable. Le long service accompli par la majorité des hommes durant cinq années laissera en eux une empreinte durable. Elle perpétuera jusque dans les réserves, où les soldats ayant passé dix et quinze ans dans l’armée seront en nombre, l’esprit militaire. Ces réserves n’auront pas besoin des exercices périodiques qu’il faut aux troupes médiocrement instruites pour les rappeler au métier oublié. Les rappels, qui prennent aux réservistes un mois, aux territoriaux quinze jours de leur temps, deviendront inutiles. Sans doute ils ne sont pas faits uniquement pour l’instruction des soldats. Les grandes manœuvres sont l’école des grands commandemens. Mais il y a plusieurs manières de s’y former, et le profit serait plus grand pour les généraux de suivre chaque année, comme spectateurs et juges, des opérations bien conduites dans un seul corps d’armée, que de participer, dans l’activité désordonnée de manœuvres partout entreprises, à des opérations sans