Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 70.djvu/457

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

convois, les jettera les unes sur les autres ; et, ce jour-là, dans ces foules où la souffrance, la panique, la lâcheté, se multiplient par les masses, les défaites seront à la taille des armées. L’œuvre des plus grands génies, de ceux qui ont tracé ou restauré les régies de la guerre, a été de vaincre avec des troupes de métier des nations en armes. Sans doute, ces grands capitaines ont été un présent de la fortune, mais avant qu’ils apparussent, l’instrument dont ils devaient se servir avait été formé. César trouva les légions romaines que les luttes civiles avaient peuplées de vétérans ; Alexandre, Annibal, le grand Frédéric employaient des troupes choisies, et longuement formées par la prévoyance paternelle ; Napoléon, les vieux soldats de la monarchie et les volontaires de la révolution, mêlés ensemble par de longues guerres. Le peuple qui aspirera à la grandeur militaire devra faire cette armée toujours semblable qui, à travers les âges, a accompli de grandes choses. Quand elle sera créée, l’homme naîtra pour la conduire. Car l’ordre prépare et appelle le génie.

La France, qui dans ses troupes ne peut avoir, à l’égal des autres nations le nombre, peut avoir plus que nulle autre la valeur. La stérilité qui arrête le développement de sa race n’a atteint aucune des qualités qui ont fait longtemps sa supériorité militaire. Qu’elle les mette en valeur et, sans rivaliser pour obtenir le seul avantage qui lui manque, qu’elle estime sa part la meilleure. Si les puissances de l’Europe s’engagent par le service à court terme à des développemens toujours plus considérables d’effectifs, que, dans ses troupes, inférieures en quantité, elle mette un zèle grandissant à former chaque homme ; si les puissances de l’Europe penchent vers les armées de milices, qu’elle perfectionne une armée de métier. Rien ne serait aussi favorable pour elle. Avec 700,000 vieux soldats, elle est également sûre de sa sécurité et de sa grandeur. Mais si la France, dupe des sophismes, continue à croire que tous les citoyens seront à l’heure du péril des soldats, si elle compte, pour être forte et inviolable, sur l’instruction de son peuple, la générosité de sa politique, l’éclat de sa civilisation, qu’elle prenne garde. Elle ne serait pas la première démocratie, ni la plus brillante, qu’une semblable erreur ait perdue.

Athènes avait su défendre contre les Perses l’indépendance de la Grèce, contre les autres cités helléniques sa prépondérance, contre les factions sa liberté. Pour se reposer de la gloire des armes, elle avait conquis celle des lettres, des arts, de la philosophie, de la politique ; son génie était si universel que, non content de la doter elle-même, il travaillait à une œuvre de civilisation générale. Sa générosité pour les étrangers, la douceur de ses maximes faisaient