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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 70.djvu/475

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mulées par leur imprévoyance, des entreprises aventureuses qu’ils ont encouragées ou soutenues, des mécomptes et des malaises qu’ils ont créés par leur politique. La situation n’a certes rien de brillant pour le pays, rien de flatteur et de rassurant pour ceux qui ont si imprudemment, si gratuitement mis à mal les affaires de la France. Encore si les républicains, qui ont seuls le gouvernement depuis des années, avaient eu la chance de pouvoir inscrire comme un succès ou comme une promesse, dans leurs manifestes électoraux, la paix du Tonkin, la fin des expéditions lointaines et des sacrifices sans compensation ! Malheureusement c’est un espoir qui, après avoir paru près de se réaliser, est encore une fois déçu, et, au moment même où notre parlement autorisait la ratification d’un traité par lui-même assez médiocre avec la Chine, de nouveaux événemens, éclatant à Hué, sont venus prouver que rien n’était fini, que la France était probablement pour longtemps engagée dans ces contrées, où elle a déjà, de l’aveu de M. le ministre de la guerre, trente-cinq mille hommes. C’est un contretemps fâcheux ; mais aussi, qu’allait faire le commandant en chef de notre corps expéditionnaire, M. le général de Courcy, à Hué, à la veille des élections, lorsqu’on avait besoin tout au moins de quelques semaines de paix et d’illusion ?

La vérité est que ces événemens qui viennent d’éclater à Hué n’ont rien d’imprévu ; ils tiennent par le fait à toute une situation vaguement définie, demeurée jusqu’ici sans sécurité et sans garantie. Officiellement, diplomatiquement, l’empire d’Annam est sous notre protectorat, et le dernier traité avec la Chine, quoique plein d’équivoques et de réticences, reconnaît au moins par un sous-entendu ce protectorat ; en réalité, les mandarins qui gouvernent le pays annamite sous le nom d’un roi enfant n’ont cessé d’être des ennemis et des alliés de tous nos ennemis, des bandes de pirates qui ont infesté le Tonkin aussi bien que des Chinois. Toujours prêts à plier devant la force, à signer les traités qu’on leur impose, mais toujours prêts aussi à se dégager par la violence ou par la ruse, ils ont profité de la dernière campagne du Tonkin qui occupait nos soldats pour s’organiser militairement. Ils ont créé une armée qu’on porte, avec un peu d’exagération peut-être, à plus de trente mille hommes ; ils ont établi à quelque distance de Hué un camp retranché destiné à servir de refuge et de défense : bref, ils se sont préparés à la guerre ! Lorsque M. le général de Courcy, arrivé depuis peu au Tonkin avec tous lus pouvoirs militaires et diplomatiques, a cru devoir récemment se rendre à Hué pour régler définitivement les conditions du protectorat, les mandarins régens de l’Annam ont compris sans doute qu’il n’y avait plus à ruser, que le moment était venu de lever le masque. Ils ont probablement cru, avec toutes leurs forces réunies, avoir raison de quelques compagnies que M. le général de Courcy avait fort heureusement emmenées avec lui, et ils