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se sont disposés à l’attaquer, la nuit, par le fer et le feu. C’était un véritable guet-apens, bien plus que l’échauffourée de Bac-Lé l’an dernier. Le général de Courcy, avec un millier d’hommes dispersés dans deux postes assez malheureusement séparés, a subi l’assaut nocturne ; il a tué douze cents Annamites et il est resté victorieux. Il s’est emparé de la citadelle qui forme la ville officielle à côté de la ville marchande, du palais impérial ; il a pu même mettre la main sur un des régens, qu’il a fait prisonnier. Quant aux autres régens, ils ont pu se sauver avec le reste de l’armée, le jeune roi, la petite cour annamite et les mandarins ; ils se sont apparemment réfugiés dans le camp retranché qu’ils avaient préparé, laissant le général français maître de Hué.

Jusque-là, rien de mieux sans doute. M. le général de Courcy s’est tiré avec une habile intrépidité d’une mauvaise affaire, et nos soldats ont montré une fois de plus par ce combat de nuit qu’ils ne se laissaient pas ébranler dans les momens difficiles, qu’ils ne comptaient pas leurs ennemis. Le danger immédiat semble maintenant passé, et, dans tous les cas, avec les nouveaux renforts qu’il a aussitôt appelés auprès de lui, M. le général de Courcy est en mesure de tenir tête à l’imprévu. Qu’en est-il cependant au fond de cet incident singulier ? Il dévoile évidemment une situation assez grave pour rester l’objet d’une surveillance de tous les instans ; il prouve que, même après la paix avec la Chine, tout n’est point fini. Cette perfide tentative annamite, qui est venue échouer devant le calme courage de nos soldats, n’est peut-être pas aussi isolée qu’on le croit. Elle n’est pas, on peut bien le penser, sans rapport avec tout ce qui se passe sur le fleuve Rouge, avec les agitations qui menacent encore le Tonkin. Elle se île sûrement aussi à cet état d’insurrection où vit le Cambodge, où nos soldats dispersés en colonnes mobiles ou en petits détachemens, sont obligés de livrer d’incessans combats contre des bandes qui attaquent nos postes. Elle révèle, en un mot, dans ces contrées un état général qui peut être sans péril tant qu’on nous croira vigilans et armés, qui peut nous exposer aux plus pénibles surprises si on se laisse aller à diminuer nos forces ou à tenter des expériences hasardeuses. D’un autre côté, à Hué même, comment va-t-on régler cette affaire de l’Anna m après l’odieux guet-apens dont nos soldats ont failli être les victimes ? M. le général de Courcy est à Hué sans doute et il est en mesure d’y rester tant qu’il voudra ; mais c’est là que commence la difficulté, et cette difficulté, elle ne peut être résolue ni par une occupation indéfinie, ni par des proclamations du général français et du régent prisonnier aux Annamites. Il s’agit d’organiser ou de réorganiser ce protectorat à peu près reconnu dans le traité avec la Chine. Si le gouvernement, qui s’est enfui avec le jeune roi et l’armée, s’obstine dans sa résistance, comment fera-t-on ? Eût-on les moyens de constituer un autre gouvernement, il faudrait encore engager une campagne pour soumettre ou disperser les