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nature, dont il peut déduire la semence, le tiers du foin des vallées et le quart du foin des montagnes. J’ai sous les yeux une protestation très vive, rédigée par les représentans des agas des districts de Ljubinje, Bilek, Trebinje, Stolatch et Gacsko, dans laquelle ils se plaignent que l’autorité ait réduit les prestations des kmets de la moitié au tiers ou du tiers au quart. Mais leurs réclamations paraissent mal fondées de toute façon. Le règlement organique turc du 14 sefer 1276 (1859), qu’ils invoquent, n’impose au kmet que le paiement du tiers, tretina, quand la maison et le bétail lui appartiennent, et c’est presque toujours le cas. En outre, il est certain que c’est par une série d’usurpations que les begs et les agas ont élevé leur part du dixième, fixé d’abord par les conquérans eux-mêmes, au tiers et à la moitié. Le gouvernement autrichien a les meilleures raisons pour trancher tous les cas douteux en faveur des tenanciers ; tout le lui commande : d’abord, l’équité et l’humanité ; ensuite, la mission de réparation que l’Europe lui a confiée ; enfin et surtout, l’intérêt économique. Le kmet est le producteur de la richesse. C’est lui dont il faut stimuler l’activité, en lui assurant la pleine jouissance de tout le surplus qu’il pourra récolter. L’aga est le frelon oisif, dont les exactions sont le principal obstacle à toute amélioration. On ne peut d’aucune manière le comparer au propriétaire européen, qui contribue parfois à augmenter la productivité du sol et qui donne l’exemple du progrès agricole. Les agas n’ont jamais rien fait et ne feront jamais rien pour l’agriculture.

Quoique je n’ignore pas combien il est difficile à un étranger d’indiquer des réformes à propos d’une question aussi complexe, voici celles qui me sont suggérées par une étude attentive des conditions agraires dans les différens pays du globe. Tout d’abord, ne pas écouter les impatiens et éviter les changemens brusques et violens ; se garder de transformer les kmets en simples locataires, qu’on peut évincer ou dont on peut augmenter à volonté le fermage, comme l’ont fait malheureusement les Anglais dans plusieurs provinces de l’Inde ; au contraire, consacrer définitivement le droit d’occupation héréditaire, le jus in re, que la coutume ancienne leur reconnaissait et qu’en général les agas eux-mêmes ne contestent pas ; quand le cadastre sera achevé et que les prestations dues par chaque tchiflik ou exploitation auront été contradictoirement déterminées, transformer la dîme en un impôt foncier et la tretina en un fermage fixe et invariable, afin que le bénéfice des améliorations profite complètement aux cultivateurs qui les exécuteront et qui seront, par conséquent, stimulés à en faire. Au commencement, dans les mauvaises années, il faudra accorder peut- être quelque répit aux kmets ; mais le prix des denrées augmentera