position l’attaque de Napoléon. C’était l’idée que Blücher avait la veille. Mais, d’une part, les renforts sur lesquels il comptait lui faisaient défaut ; d’autre part, Marmont et Mortier, occupant La Ferté-Milon, se trouvaient maîtres du passage de l’Ourcq, et tandis que Napoléon eût abordé l’armée de Silésie de front, les deux maréchaux l’eussent prise en flanc. Le second parti était d’accélérer la retraite, d’atteindre l’Aisne par le chemin le plus direct et de passer cette rivière à Soissons. Mais Blücher n’ignorait pas que Soissons était aux Français, et il ne pouvait songer à emporter cette place en une journée. Or une journée, c’était toute l’avance qu’il eût sur Napoléon ; dans moins de vingt-quatre heures, l’empereur tomberait sur lui. Le troisième parti, enfin, était de se dérober aux Français par la route du nord-est. Il remonterait l’Aisne jusqu’à Berry-au-Bac, où il la traverserait. Mais là encore, Blücher risquait de se heurter à Napoléon, qui pouvait manœuvrer de façon à lui couper sa ligne de retraite.
L’armée de Blücher était dans le pire état de fatigue et de misère. Depuis soixante-douze heures, les troupes avaient livré trois combats et fait trois marches de nuit. Depuis une semaine, elles n’avaient reçu aucune distribution[1]. Depuis le 22 février, plusieurs régimens de cavalerie, entre autres les dragons de Litthau, n’avaient point dessellé; beaucoup de chevaux étaient fourbus, presque tous étaient blessés au garrot[2]. Des trains d’artillerie, embourbés dans des chemins de traverse défoncés par le dégel, en étaient réduits, pour continuer leur marche, à abandonner des caissons de munitions, qu’ils faisaient sauter[3]. Les fantassins allaient pieds nus et en guenilles, portant des armes rouillées. Exténués et affamés, ces soldats marchaient sans ordre, murmurant contre leurs chefs et vivant à la fortune du pillage[4]. Le 3 mars, en arrivant à Oulchy, le général York fit former le cercle à ses brigadiers et à ses colonels. « Je croyais, dit-il, avoir l’honneur de commander un corps d’armée prussien ; je ne commande qu’une bande de brigands. Je suis résolu à faire passer en cour martiale les officiers qui ne sauront pas maintenir la discipline parmi leurs troupes[5].»
Avec une pareille armée, et les renforts attendus faisant défaut, Blücher ne pouvait s’arrêter à Oulchy pour y livrer bataille. D’autre part, Soissons était fermé. Restait donc la retraite par Berry-au-Bac ; mais Blücher hésitait à entreprendre une marche de flanc toujours