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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 70.djvu/671

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plus le droit de se faire l’écho des théories de Schopenhauer sur l’amour. Sa thèse favorite, auparavant, était celle-ci : « Toute femme qu’un don intellectuel spécial ne sépare pas de la masse de ses pareilles, toute femme qui ne proteste pas, par une œuvre, contre l’infériorité de son sexe, est vouée au mépris de l’homme ; mépris recouvert d’adulations, d’idolâtrie peut-être, mais trop réel cependant, cette prétendue idolâtrie n’étant qu’un instinct aveugle qui seul empêche les hommes de détruire la femme, comme ils font de tout animal plus faible qu’eux. » Courtlandt, en lui rendant sa propre estime, en se posant devant le monde comme le champion de son honneur, lui prouvera que l’amour peut être, du côté de la barbe, autre chose qu’une fascination toute physique et tout involontaire. Il a été patient, désintéressé, il a veillé sur elle tandis qu’elle le méconnaissait; à l’heure des déceptions, enfin, il lui pardonne. Pauvre excellent Courtlandt! Amènera-t-il cette insatiable, dévorée d’abord de l’envie d’être riche, puis de besoins intellectuels plus ou moins factices, à se contenter tout simplement du lot de femme heureuse?

Dans un roman plus récent de M. Fawcett : Cymbales retentissantes[1], l’admirable abnégation d’un autre redresseur de torts, Lawrence Rainsford, fait ressortir la sécheresse et la frivolité si fréquentes chez la jeune fille américaine. Repoussé par une étourdie qui se laisse prendre aux avantages tout extérieurs d’un homme à la mode, Tracy Tremaine, dont les vices, sous cette surface élégante, sont ceux d’un portefaix, puisque nous le voyons, après un prétendu mariage d’amour, s’enivrer habituellement et finir par frapper sa femme, Rainsford renouvelle son offre à la veuve de ce drôle. Il épouse cette Leah, toujours chérie, malgré sa beauté pâlissante, malgré les cheveux blancs qui sont venus atténuer l’éclat de son auréole d’or. Ayant grandi en talent, en renommée, tandis qu’elle s’usait dans une horrible lutte contre des humiliations et des douleurs trop méritées, il s’est gardé pour l’ingrate, il considère comme une récompense le droit tardif qu’elle lui accorde de consoler sa vie brisée.

Après avoir lu ces divers récits, d’un tour très réel, comment ne pas conclure que, sur leur trame triste ou gaie, l’Américain se détache bien supérieur moralement à l’Américaine? Non pas l’Américain déguisé, gâté par l’imitation étrangère, contrefaçon de l’Anglais débauché, comme Tracy Tremaine, ou du mauvais sujet parisien, comme le vieux beau Hamilton Varick, mais ce type de force virile, de dévoûment sans phrases, d’affection protectrice et de bon sens imperturbable, un Courtlandt Beekman, un Laurence

  1. Tinkling Cymbals, 1 vol. Osgood. Boston.